Miroir et poches arrière

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Une fois que tout le monde est parti, la maison semble bien calme.

Pour passer le temps, j'aide ma mère à confectionner des couronnes de l'Avent.

Chaque année, elle en fabrique pour les offrir aux amis et à la famille proche, ainsi qu'à quelques fidèles de « The Book Nook ».

D'autres couronnes sont quant à elles destinées à être vendues lors du marché de Noël.

Depuis plusieurs décennies, ils sont une dizaine de bénévoles à se relayer autour d'un stand proposant des créations artisanales. Les bénéfices sont ensuite reversés à une association caritative.

À Síorghlas, l'entraide et la solidarité ne sont pas que des mots perdus dans un dictionnaire. On se soucie vraiment de son prochain. J'avoue qu'être ici en cette période si particulière de l'année me redonne foi en l'espèce humaine.

J'avais huit ans lorsque j'ai fabriqué ma première couronne de l'Avent. Ce n'était sans doute pas ma plus réussie, mais j'y ai tout de suite pris goût Cela me permet de fixer mon attention sur quelque chose de créatif, et d'oublier les soucis de la vie quotidienne.

Cette année, j'ai le privilège d'être auprès des miens pour plus de quarante-huit heures, et je compte bien savourer ce bonheur. Papa et maman vieillissent, et je m'en voudrais de ne pas profiter d'avoir la chance de passer des moments avec eux.

Pendant qu'on fabrique nos couronnes, mon père s'est plongé dans un roman épais qu'il quitte de temps en temps pour bavarder ou plaisanter avec nous. Je souris en entendant une chanson de Perry Como s'élever et faire écho à ce que je ressens au plus profond de moi-même.

« Oh, there's no place like home for the holidays
'Cause no matter how far away you roam
If you wanna to be happy in a million ways
For the holidays you can't beat home sweet home ! »

En effet, je n'aurais pas pu être plus heureuse qu'en retournant passer les fêtes de fin d'année « chez moi », auprès des gens que j'aime. Même si j'ai mon appartement à Dublin, je considère encore que ma place est ici, dans ce petit village irlandais où j'ai grandi et où j'ai vécu mes plus beaux moments. J'ai toujours rêvé de revenir habiter dans le coin le jour où je voudrais fonder une famille. Edward se moquait inéluctablement de moi quand je disais ça :

"Sérieusement, Becca ? Le cliché de la petite famille parfaite avec deux gosses et un chien, dans une jolie maison avec jardin me file des frissons. Tu nous imagines vraiment vivre dans ton patelin paumé ? Redescends sur terre, bébé."

J'avais horreur qu'il m'appelle Bébé. Et je détestais encore plus qu'il se permette de me parler ainsi. Mais si j'osais protester, alors il s'énervait et disait qu'on ne pouvait pas discuter avec moi. Selon lui, j'étais « trop susceptible » et « trop rêveuse ». Toujours la même rengaine.

Avec le recul, je réalise surtout que j'étais trop aveuglée par mes sentiments pour ne pas remarquer qu'Eddie était un véritable enfoiré.

*

J'ai passé la matinée à livrer des couronnes et d'autres créations pour le stand du marché de Noël. Après quoi, j'ai filé au café-librairie, afin de donner un coup de main à maman.

Le sort réservé à ce commerce que j'ai toujours connu me préoccupe beaucoup. Mes parents ont reçu une offre qu'ils ont refusée. La personne intéressée souhaitait transformer « The Book Nook » en poissonnerie. Sacrilège ! Je n'ose imaginer tous ces livres que j'affectionne tant être délogés pour être remplacés par de la morue ou des crevettes surgelées ! Quel genre de monstre faut-il être pour oser envisager cela ?

Je suis affairée à réorganiser l'espace livre des enfants lorsqu'une voix me fait sursauter.

Je dois dire que je ne suis même plus étonnée de croiser sans arrêt Alex.

— Tu désires que je te conseille un livre jeunesse ? Les livres de Roald Dahl sont des classiques que je ne saurais que trop t'inviter à dévorer dès que possible.

— Ça t'arrive de ne pas être sarcastique ?

— Pas quand t'es dans les parages, désolée.

Xander lève les yeux au ciel puis fronce les sourcils.

— Qu'est-ce que t'es venu faire là ?

— Merci pour ton accueil, Muffin. Décidément t'es de plus en plus chaleureuse au fil des minutes, se moque-t-il.

— Ça t'arrive de répondre aux questions qu'on te pose ?

— Ça t'arrive d'être polie et sympa ?

Je rougis aussitôt. C'est plus fort que moi, je continue à avoir des envies ambivalentes quand il est près de moi.

Le gifler ou l'embrasser.

Le repousser ou sauter à son cou.

Lui dire de partir ou le retenir pour le persuader de rester.

— OK. Désolée, lui dis-je avec un petit sourire pour me faire pardonner d'être aussi glaciale et sur la défensive. Alors, t'es là pour quoi ?

— Ta mère m'a dit qu'elle avait besoin d'un coup de main pour réparer des étagères.

— Depuis quand t'es bricoleur ?

— Oh, mais il y a plein de choses que tu ignores sur moi, Becca, rétorque-t-il en m'adressant un clin d'œil avant de partir à la rencontre de ma mère qui a fini de conseiller une cliente et amie à elle.

Je reste plantée là, l'observant s'éloigner tout admirant les...euh... poches arrière de son jean. Rien d'autre. Je promets que c'est vrai !

Bon, d'accord, c'est moche de mentir. Le Père Fouettard risquerait de me tomber dessus.

La voix d'Alex me tire de mes pensées.

— Il y a au moins une chose que tu sembles apprécier chez moi, dit-il en se retournant.

Ma mère paraît ne s'apercevoir de rien ; entre temps, un client est venu lui demander un renseignement.

Comme je ne veux pas que tout le monde puisse suivre nos échanges, je marche jusqu'à lui afin de lui demander.

— De quoi tu parles ?

Il s'approche de moi avec un petit sourire amusé et me glisse à l'oreille :

— Le miroir intégré dans ce petit meuble que tu vois là-bas n'est pas purement décoratif, Muffin.

Je jette un coup d'œil au meuble en question, et je sens mes joues se mettre à brûler.

— Et alors ? J'ai cru que t'avais une tache à ton pantalon. Je vérifiais juste pour pouvoir te le dire. T'as de la chance, il n'y avait rien finalement.

— Oh, donc c'est pour ça que tu t'es mordillé la lèvre en me regardant m'éloigner ? L'idée que mon jean passe prochainement au lave-linge te faisait tant d'effet que ça, Becca ?

OK. Il se fout littéralement de ma tronche.

Cela dit, je l'ai mérité cette fois-ci. Comme je ne trouve rien à répliquer, ce sadique murmure :

— T'es mignonne quand tu rougis, Muffin.

Puis il s'éloigne vers ma mère et tous les deux se mettent à l'ouvrage.

De temps en temps, Alex jette des regards dans ma direction, et je me sens comme une adolescente qui vit son premier flirt.

Je ne peux pas nier que l'attention qu'il me porte et les sourires qu'il m'adresse sont loin de me laisser indifférente.

Dans quel pétrin suis-je en train de me fourrer ?

👀🍑👀🍑👀

J'espère que ce petit chapitre vous a plu, attention aux miroirs 😇😜

Noël sous un ciel irlandaisWhere stories live. Discover now