Lemuria - Taekook

► 02

"Vous m'avez convoqué à cause de la voiture, non ?

- Arrêtez de mentir.

(rires)

- Vous êtes complètement fou, commissaire."

- Namjoon, sur le mur...
- Je sais.

De grandes lettres tracées de la paume, de grandes lettres qui tombent sur le sol. Du sang sur le mur blanc. On a enfermé les deux corps dans des sacs hermétiques. Le son glaçant, tristement banal, de la fermeture éclair que l'on remonte. Il n'y a plus que deux silhouettes sur le parquet.

-C, I, M, E... Cime ?

Namjoon n'a pas d'uniforme, il est appuyé contre le mur. Ses yeux sont déjà clos. Hoseok fixe ce mot qui ne veut rien dire. Sa lourde veste l'étouffe un peu.

- Il y a beaucoup d'arbres, dans ce jardin. 

Le commissaire ne répond pas. Il se prépare, déjà, au combat. Le vent trop faible, trop maigre, dehors dans les oliviers. Le E, sur le mur, se termine là où commence la main d'un des deux corps. Ils ne sont plus que des corps. Le mot n'est pas terminé. Namjoon recense déjà toutes les images dans son esprit. La bouteille de vin, le livre, la plante, les assiettes dans l'évier, le poisson rouge. Coincé dans son bocal. Les pêches dans le plat vert. Un soupir. Les deux corps, un t-shirt rouge, une chemise blanche. Il ouvre les yeux. 

Une voiture rouge, dans la poussière. Taehyung et Jungkook se sont arrêtés au bord d'une route minuscule et déserte. Ce n'est pas tout à fait l'idée qu'ils se faisaient des grands espaces. Les portes ouvertes, la musique déversée dans la nature. Jungkook regarde le ciel parfaitement bleu sans trop y croire et Taehyung est appuyé à un arbre, vomissant ses tripes dans le fossé. Ils savent parfaitement comment ils en sont arrivés là. Ils savent parfaitement d'où vient tout ce sang dans les lignes de leurs paumes, ce sang qui ne part pas, qui ne partira sans doute jamais. Ça ne rend pas les choses plus faciles. 

Ils ont essayé de rester droits et fiers. Dignes. De suivre leur ligne jusqu'au bout du sillon sans dévier. Mais leurs mains tremblaient, quand il a fallu effectuer le geste final. Trancher les derniers liens qui les retenaient dans leur chute. Ils ne sont plus rien que des fugitifs, désormais. Et s'ils sont encore seuls, s'il n'y a que les oiseaux, que le vent dans les chênes, ça ne peut pas durer. Jungkook n'arrive pas à y croire. Il n'y a plus d'espoir. 

Ils se sont laissés seulement le temps de fuir. Tant de sang, tant de sang pour une foutue diversion.  

Taehyung revient dans la voiture, le teint pâle. Il dit :

- J'adore cette chanson. 

Et c'est si incongru que Jungkook ne peut retenir un sourire. Un sourire... Qui sourit encore, qui peut encore sourire avec tant de douleur ? Il meurt vite. Mais Taehyung l'a aperçu, il survivra. 

- Moi aussi. Il n'a pas de si mauvais goûts, Min Yoongi.

Il a dit ça, le regard planté dans le pare-brise, le visage figé. Il a dit ça et même la chanson s'écroule un peu. 

- On est complètement foutus, pas vrai ? 

Taehyung redémarre la voiture dans un grand fracas. Ils roulent vite, très vite sur les routes minuscules bordées d'arbres encore verts, bordées de poussière encore fraîche. Un mince ruisseau et quelques libellules. C'est irréel, tout ça. Des enfants viennent sans doute se baigner là, les abricots de ces arbres seront bientôt cueillis, dévorés. Leur jus coulera sur des mentons francs, sur des sourires tracés au pinceau.

Ils n'appartiennent plus à ce monde là. Les arbres sont noirs, les visages blêmes. Il n'y a plus grand chose à faire, plus rien qu'à rouler sur ces routes qui ne mènent nulle part. 

Et ils ne savent pas encore, ne sauront jamais, que Namjoon court déjà derrière eux de toutes ses forces.