Lemuria - Taekook

► 06

"Vous connaissez leurs noms ?

- Bien sûr commissaire, et ça n'a plus d'importance maintenant.

- Alors ?

- ...Ça ne va pas vous plaire."

Namjoon est assis sur un banc, blanc, devant l'église. Cigarette à la main et les yeux dans le vague. Des pigeons sur la place, les feuilles déjà jaunes des platanes. Ce n'est que le matin. Des images en boucle sur la rétine.

Un téléphone sonne. Namjoon écrase le mégot sous sa semelle.

- On a trouvé le propriétaire de la voiture. C'est... intéressant.
- Amenez-le ici.
-...ici ?
- Oui Hoseok, ici. Puisque c'est intéressant.

Une horde de journalistes rode dans la petite rue, à peine retenue par quelques policiers en uniforme. Namjoon traverse leur groupe, les yeux baissés. Il ignore les questions obscènes et retient à peu près ses insultes.

Hoseok l'accueille, les yeux cernés, déjà plus maigre que la veille.

- Il est dans le salon. Il s'appelle Min Yoongi, il a un casier, un sacré casier. Détournement de fonds, corruption, intimidation, diffamation. Jamais été en tôle mais il a eu beaucoup de chance.
- De la chance ?...

Namjoon remonte les manches de sa veste. Il fait déjà chaud.

- De la chance ou beaucoup d'influence.

À l'intérieur, tout est resté en état. La flaque de vin dans l'entrée a séché, laissant une tâche, large, rouge amarante. Une drôle d'odeur. Hoseok suit Namjoon dans le salon. Deux uniformes encadrent un homme sur le canapé. Il n'a pas encore de menotes aux mains. Ce n'est même pas un suspect. Mais sous son air détendu, il a déjà les genoux fléchis, un rictus aux lèvres. Légèrement moqueur. Pas un regard à la montre qui scintille à son poignet et pas d'inquiétude. Namjoon a bien peur de comprendre à qui il a affaire et ça ne lui plait pas vraiment.

Namjoon ne dit rien, sort une cassette vierge de la poche de sa veste, l'introduit dans le magneto poussiéreux sur une étagère. Et pose, sans un regard, la cassette qui s'y trouvait déjà sur le côté. Il appuie sur le bouton, la bande commence à tourner.

- Je suis le commissaire Kim Namjoon.  Tout ce que nous dirons dans cette pièce sera enregistré sur ces cassettes. Présentez-vous.
- Vous savez qui je suis, commissaire.

Namjoon ferme les volets.

- Hoseok, reste s'il te plait. Les autres vous pouvez sortir. Et fermez la porte.

Il s'assoit, allume une cigarette. Hoseok reste en retrait, appuyé contre le mur.

- Je sais qui vous êtes. Ne jouez pas avec moi. Qui sait ? Je pourrais m'arranger pour vous envoyer enfin en prison.

Le rictus se mue en sourire. Yoongi se recule jusqu'au dossier, croise les bras.

- Vous savez pourquoi vous êtes là ?
- Je ne suis pas censé le savoir, n'est ce pas ?
- Ce n'est pas la question. Ramène nous des cafés, Hoseok. Ça va durer quelques temps. J'espère que vous avez prévu la journée.

Ils ne parlent plus jusqu'au retour d'Hoseok, posant deux tasses brûlantes sur la table, à côté du livre retourné. Namjoon écrase son mégot dans le cendrier.

- Je saurai que vous mentez. Je sais que vous aller mentir.
- Je ne vous sous-estime pas, commissaire.

Et le ton ironique est insupportable. Le café est amer, très serré. Un peu de lumière vient de perdre dans la tasse et sur le sourire glaçant de Yoongi. Ce n'est que la première piste. Ce ne devrait être qu'un interrogatoire de forme. Mais ce n'est pas anodin, les acteurs de la scène le savent parfaitement. Tout a changé désormais. Et tout prendra sens.

À la pause, quatre heures plus tard, Namjoon dira à Hoseok de retrouver les complices. Car "les hommes comme lui ne se salissent jamais les mains". Yoongi aura alors des menottes aux poignets, accrochées à l'accoudoir du canapé. Mais il n'aura encore rien dit, car il n'aura eu aucune raison de le faire. Rien qu'un sourire monstrueux, figé sur son visage, inébranlable. 

Et le temps.