12. Yann

4 1 0
                                    

12. Yann

Ils avaient prévu un poulet rôti pour le repas du midi. Yann s'était levé tôt, pour aller au marché du quartier, et acheter tout le nécessaire ; une salade en entrée, des pommes de terre, de la moutarde maison. Il aimait beaucoup ces déjeuners du dimanche. Depuis la mort de sa femme, ils avaient instauré ce petit rituel avec ses enfants. Il avait de la chance qu'ils habitent encore tous dans la même ville. Assez petite pour s'y retrouver, mais assez grande pour y mener chacun sa vie. Il s'arrêta un instant pour humer l'air ; ça sentait bon. Il repensa à un mois plus tôt, lorsque son fils lui avait présenté sa propre fille. Il en avait eu les larmes aux yeux. Si elle avait été là pour voir ça...

Il se rappelait encore des derniers mots qu'elle lui avait dits, avant de s'éteindre doucement, bourrée de médicaments, reliée par une demi-douzaine de tuyaux à son lit d'hôpital. Il s'en souvenait tant qu'il les chuchotai à voix haute, en continuant d'avancer à travers le marché :

« Laisse-moi partir, maintenant. Tout ira bien. »

Il accéléra le pas ; il n'aimait pas être nostalgique. C'était une perte de temps. Il acheta enfin le poulet ; un beau label rouge d'un producteur local.

Il fit demi-tour, accélérant toujours le pas. Il n'avait pas envie de repenser à tout ça. Il n'avait toujours pas fait son deuil après plus d'un an, c'était quand même un monde !

Des images de sa femme, les yeux exorbités, les mains gonflées par le manque d'exercice, qui peinait à prononcer le moindre mot, éclataient devant ses yeux.
Il était presque arrivé chez lui, plus qu'à traverser le carrefour.

Il ferma les yeux un instant, essayant tant bien que mal de chasser ces images néfastes.
Le feu était passé au vert pour les piétons.
Il avança. Son vieux cœur lui faisait mal. Ca lui arrivait de plus en plus souvent.

Elle était dans son lit d'hôpital. La main tendue vers lui.

Il ferma à nouveau les yeux. Il n'entendit aucun son.
Il ne sentit même pas l'impact de la voiture qui le percuta à pleine vitesse.
Les images disparurent de devant ses yeux en une fraction de seconde.
Le contenu de son cabas s'éparpilla sur le trottoir.

MeurtresWhere stories live. Discover now