Chapitre 8: Sous des étoiles noires

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Le jeune homme était à genoux, dégoulinant de sueur. Son visage exprimait un sentiment de douleur inimaginable. Chaque inspiration était devenue une souffrance, une véritable torture. Combien de temps est-ce que ça allait durer ? Les secondes s'écoulaient aussi lentement que des heures, rendant son calvaire quasiment éternel. Il contempla ses veines. L'impression que le sang à l'intérieur bouillonnait était insoutenable. Il voulu les griffer, les ouvrir pour être libéré de son supplice, mais il en était désormais incapable. Finalement, le jeune homme ouvrit la bouche et tendit la main vers une silhouette devant lui, avant de se laisser tomber sur le sol.

« Pa-thé-tique, fit la silhouette. Non vraiment, c'est mauvais.

Le jeune homme se releva, pataud.

- Il faut qu'on puisse voir ta souffrance, la ressentir ! Et je sais que tu en es capable, Nathan. Mais là, c'était mauvais, désolé de te le dire. Je verrai si tu peux avoir le rôle, mais pour le moment je ne suis pas convaincu. »

Le dénommé Nathan baissa la tête. Il était considéré par les professeurs comme l'étudiant le plus doué du Conservatoire. Mêmes ses camarades se tournaient vers lui pour avoir des conseils, tellement son talent était reconnu. Il aurait pu légitimement en prendre la grosse tête, mais ce n'était même pas le cas. Nathan restait humble et aidait toujours volontiers les autres. Il refusait aussi qu'on lui donne automatiquement le premier rôle, là où ses enseignants souhaitaient toujours le voir en jeune premier. Si une seule personne devait faire carrière après son passage au Conservatoire, de l'avis de tous, ça allait être lui.

Judith était fatiguée par cette situation. Oui, Nathan jouait bien. Mais en même temps, il avait le droit à des cours privés de théâtre depuis son plus jeune âge. De son côté, Judith avait dû apprendre à la dure. Sa famille n'était pas riche et rien que sa présence au Conservatoire dépendait de la générosité de son oncle Barnabé. Générosité qui avait des limites. Et puis... les professeurs avaient beau ne jamais lui accorder la moindre attention, la comédienne restait persuadée d'être douée dans ce qu'elle faisait. Même Nathan, alors qu'ils répétaient un jour ensemble, avait admis qu'elle était la seule personne qu'il imaginait devenir comédienne professionnelle. Pourtant, elle n'avait toujours eu que des rôles secondaires. Dans la dernière pièce, elle avait dû jouer la femme de ménage tandis que Manon, qui jouait aussi bien qu'un tabouret, avait eu encore une fois le premier rôle. La comédienne ne pouvait s'empêcher de se dire que si elle avait été blanche comme elle, elle aurait été aussi souvent que cette dernière sur le devant de la scène... Ou si ses cheveux étaient lisses comme ceux de Tessa, la seule autre personne noire de la promo. Après tout, les enseignants étaient tous blancs et principalement des hommes. Lorsqu'elle avait commencé à en parler autour d'elle, tout le monde avait haussé les yeux au ciel, en trouvant qu'elle en faisait forcément trop. Forcément, en tant que militante afroféministe, aux yeux des autres, elle exagérait toujours. Même Clara, l'une de ses partenaires, lui avait déjà dit une fois qu'elle faisait parfois des rapprochements qui n'avaient pas lieu d'être. Mélissa, en tant que personne malentendante, l'avait de son côté immédiatement soutenue. Elle ne comprenait que trop bien comment fonctionnait les oppressions. Après une longue conversation, Clara avait finit par comprendre ; cependant Judith était fatiguée de toujours devoir éduquer les gens autour d'elle, y compris ceux qu'elle aimait.

Tout avait changé lorsque l'un des enseignants était parti en congé paternité et que monsieur Chambers l'avait remplacé. Au départ, en le voyant arriver, Judith avait pensé: super, encore un random mec cishet blanc, comme s'ils étaient déjà pas sur-représentés chez les profs... Rapidement, elle avait compris que monsieur Chambers était différent. Le corps enseignant avait tendance à avoir une vision très conservatrice du théâtre. Le texte à leurs yeux était presque sacré et les excentricités de mises en scènes étaient très mal vues. Judith, qui appréciait fortement l'improvisation, était en profond désaccord. Selon elle, vouloir figer ainsi le 6ème art, c'était le conduire à sa perte. Déjà que le théâtre était devenu de plus en plus élitiste et inaccessible ; bientôt seuls les bourgeois allaient pouvoir se permettre à la fois de s'y rendre et de le pratiquer. Chambers partageait son avis. Il encourageait ses élèves à se laisser porter par leur propre inspiration lors des répétitions, argumentant:

Aurore et les Mondes de la NuitWhere stories live. Discover now