Chapitre 6: L'appartement du deuxième étage

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Pat descendait doucement les escaliers, son cœur battant la chamade et refusant de se calmer. Jamais elle n'avait été aussi stressée de sa vie. Généralement, on lui reprochait d'être trop détachée ; comme si les événements auxquels elle assistait ne l'atteignaient jamais. Noémie, notamment, affirmait qu'elle n'était capable de ressentir que de la colère et encore, seulement par moment. Jusque là, Pat lui avait donné raison. Du matin jusqu'au soir, les seuls instants où elle sortait de sa lassitude était quand une rage sourde prenait le contrôle de ses émotions. Ce n'était pas du simple agacement ou du petit énervement ; non, c'était de la fureur. Le pire, c'est que ça pouvait être déclenché par n'importe quoi ; le voisin du dessus qui venait lui demander de baisser le son de sa télévision, une vieille dame qui la doublait dans la file d'attente, un lourdingue qui essayait de la draguer dans la rue, plus de yaourts dans le frigo... Pat ne connaissait pas la demi-mesure. Quand elle n'était pas enragée, elle avait l'impression de s'ennuyer. D'être une simple observatrice du monde qui l'entourait, mais de ne jamais y prendre part, physiquement ou émotionnellement. Même de sa vie, elle n'était qu'une spectatrice très peu engagée dans le spectacle qu'elle regardait. Elle n'était pas triste d'être comme ça. C'était tout ce qu'elle connaissait, alors ça lui convenait.

Sauf que désormais, Pat ressentait quelque chose de nouveau.

Pourquoi est-ce que son cœur ne s'arrêtait pas ? Elle ne l'entendait pas d'habitude. Et ces sueurs froides... Qu'est-ce que ça signifiait ?

« Nous sommes ce qui se cache au coin de votre œil, là où vous ne voulez jamais regarder, lui avait dit la petite fille en préambule. Vous n'avez jamais remarqué que vous étiez entourée par des faits qui défient la logique ? Vous êtes policière, ne trouvez-vous pas ça surprenant, toutes ces disparitions inexpliquées ? Tous ces phénomènes sans explication rationnelle ? Ce n'est pas parce que vous ne vous souciez pas de cette zone d'ombre que ce qui s'y cache disparaît. »

La policière faisait attention à chacun de ses pas, comme si les marches risquaient d'exploser si jamais elle allait trop vite. Ou peut-être de s'effondrer sous ses pieds et de l'engloutir. Elle avait des vertiges ainsi que des nausées, et devait se tenir à la rambarde pour ne pas tomber. Les murs grisâtres et malpropres de l'immeuble semblaient plus étroit désormais, comme s'ils allaient se refermer sur elle. J'ai envie de vomir... Putain, pourquoi j'ai envie de vomir ? se dit la policière.

Aurore lui avait parlé des autres Mondes. Elle lui avait décrit des lieux, quelque part dans le Lointain, où le ciel s'embrasait, où la mer était endormie et où les rivières étaient capable de rêver. Les gens y étaient fait uniquement de fumée et les villes, uniquement de chansons. Elle lui avait expliqué la beauté des Étoiles de Poussières et la quiétude du lac d'Hali. Énigmatique, elle avait survolé les étendues de l'Éternité sans dévoiler leurs mystères. Enfin, elle avait évoqué les Horreurs. Les Mangeurs d'Âmes. Les Suppôts du Néant. La destruction de Mondes entiers, condamnées à ce que plus personne ne se rappelle qu'ils avaient un jour existé.

« Notre monde n'aurait jamais dû rencontrer les autres. C'était une erreur. Une Faille a été ouverte par des inconscients, il y a de cela des générations en échange de la vie d'un enfant... Nous autres, Rejetons de la Faille, descendants de cet enfant, avons pour mission de s'assurer que rien ne mette cet univers en péril, jusqu'à ce qu'on puisse réparer l'erreur de nos aïeuls. »

La conversation n'avait duré que quelques minutes, pourtant, Pat avait eu l'impression d'entendre la voix douce d'Aurore la bercer pendant des heures. Malgré son visage juvénile, une immense sagesse se dégageait de la petite fille. Pour la policière, les rôle s'étaient dès lors inversées ; elle avait eu l'impression d'être une enfant face à une adulte qui lui révélait les secrets du monde des grands. Et puis, petit à petit, au fur et à mesure de la conversation, la relation était devenue plus équitable. Aurore avait commencé à lui parler d'égale à égale. Elles avaient ri ensemble comme deux amis se connaissant depuis toujours et qui s'étaient simplement perdues de vue. Et lorsqu'enfin, ses explications furent achevées, Pat avait l'impression de ne plus être tout à fait Pat. Et que le monde autour d'elle n'était plus tout à fait le même. En regardant dans chaque recoin, la femme pouvait désormais apercevoir des choses qu'elle n'aurait jamais imaginé auparavant. Les fameux détails qui restaient dans le coin de son œil, sans que jamais elle ne les remarque.

Aurore et les Mondes de la Nuitजहाँ कहानियाँ रहती हैं। अभी खोजें