Chapitre 1: Le Molosse d'Ombre

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Judith Quill veillait tard ce soir là. Les lumières de la boutique étaient toutes éteintes ; à l'exception d'une petite lampe posée sur son bureau, juste à la droite du livre ouvert qu'elle était en train de feuilleter. Judith avait de long cheveux crépus qu'elle laissait pousser au naturel depuis plusieurs années. Sa peau noire était foncée et brillante grâce à l'entretien minutieux qu'elle lui procurait. Elle n'avait pas pris le temps de retirer son long manteau noir, s'étant installée rapidement et conservait son écharpe bleue autour du cou, ce qui ne changeait pas vraiment de d'habitude. Judith travaillait à la Librairie des Autres Mondes. C'était un job étudiant comme un autre ; normalement il était difficile de se faire embaucher dans le monde fermé des librairies sans vouloir y faire carrière ou un bon piston. Ce n'était clairement pas sa vocation, mais en revanche elle possédait le bon tremplin ; à savoir son oncle qui tenait le magasin. Tonton Barnabé était un peu le mouton noir de la famille. Tout le monde le trouvait... bizarre. Il était au courant de n'importe quelle théorie du complot existante et croyait dur comme fer à la moitié d'entre elles. Lorsqu'il n'y croyait pas, c'était parce qu'il connaissait une théorie encore plus farfelue. Au cours du temps, il s'était éloigné de sa famille et s'était créé un cercle d'amis aussi étranges que lui. Judith les avait déjà croisé et même à leur allure on pouvait voir que quelque chose clochait chez eux. Rapidement, Barnabé et sa bande avait eu besoin d'un point de repaire et c'était ainsi qu'ils s'étaient tous cotisés pour créer la Librairie Associative des Autres Mondes. Dans les nombreux étalages, vous n'alliez pas trouver de Zola, de philosophie, ni même de romance ou de Tolkien. Pas de livres de gare ou de classiques. Tout n'était que sciences occultes, Atlantide, vérités sur le christianisme, illuminatis, zone 51 et tant d'autres noms qui laissaient Judith perplexe. Les couvertures avaient parfois des noms incompréhensibles et un côté superstitieux malgré-elle empêchait la jeune femme de s'en approcher. Après tout, elle n'avait pas accepté ce job parce qu'elle croyait en ce genre de choses ou parce que ça l'intéressait. Elle l'avait accepté parce que ça payait ses factures et qu'elle n'avait quasiment rien à faire. Il n'y avait que très peu de clients et ça ne dérangeait pas son oncle qu'elle révise ou écoute de la musique derrière le comptoir. Sa présence permettait tout de même d'assurer un accueil au cas où un beau jour un curieux oserait pousser la porte d'entrée. Pendant ce temps, Barnabé pouvait passer ses journées à s'éclipser dans l'arrière-salle où il tenait ses réunions. Il lui avait déjà proposé de venir y assister, mais 17 ans de vie commune avec ses deux parents avait appris à Judith à inventer des excuses crédibles sur commande pour éviter ce genre de désagréments.

Elle n'avait aucune envie de se mêler à cette joyeuse bande d'illuminés. Judith se considérait comme une personne terre à terre bien qu'à l'âme poétique. Sa passion, c'était le théâtre et elle comptait bien devenir comédienne professionnelle. Malgré tout, elle se voyait aussi comme une personne dotée d'une certaine ouverture d'esprit, aussi elle culpabilisait de juger durement la passion de son oncle. Après tout... s'il était heureux comme ça, il n'y avait pas de mal, si ? D'après sa copine Clara, si. Le comportement de son oncle lui rappelait le fonctionnement de beaucoup de sectes. Elle lui avait cité aussi les militants anti-vaccination qui tuaient d'autres gens malgré-eux, les gens qui doutaient au point de s'en rendre malade, les suicides organisées par des organisations pseudo-religieuses... Judith s'en était inquiétée. Pourtant Barnabé semblait être un petit papy raisonnable. Avec ses lunettes rondes qui lui descendaient sur le nez, sa tasse de thé constamment à la main et son nœud papillon, il ressemblait à un cliché sur patte, certes, mais pas au cliché d'un dangereux fanatique.

« Ouais, mais peut-être que c'est pas lui à la tête de l'organisation. Peut-être que c'est une des victimes ! Avait répondu Clara face à ses arguments.

- Je sais pas, j'ai déjà vu ses amis, ils ont pas l'air... »

Elle s'arrêta en cours de phrase. Si, ils avaient l'air. L'air de quoi, elle n'en savait rien, mais ils en avait. Judith ne connaissait pas le nom des amis de son oncle, elle les avait simplement surnommés « la Sorcière »(celle qui était gothique), « Big Sourcil » (un vieux dont les cheveux avaient dû tous se rassembler au dessus de ses yeux) et « le Joker » (un type pâle constamment habillé en violet et qui ne cessait jamais de sourire). Il y en avait d'autres mais c'était ceux là qu'elle voyait le plus souvent. Et si Barnabé était vraiment englué dans une secte ?

Aurore et les Mondes de la NuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant