Chapitre 10: Le Baron Gris

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À l'intersection de la troisième avenue, un agent municipal faisait traverser une classe d'enfants. Il portait des lunettes de soleil et avait un immense sourire aux lèvres. Steve, de son prénom. Pendant qu'il guettait les enfants, il en profitait toujours pour observer derrière eux. Il surveillait quelque chose du regard, mais était incapable de savoir quoi. Ce n'était pas une source d'inquiétude. Après tout, c'était une belle journée et ça ne suffisait pas à l'inquiéter. Rien ne l'inquiétait jamais vraiment. Son bras droit était collé contre son corps et ses doigts tapotaient contre sa jambe.

Dans le parc, une jardinière était occupée à arroser les plantes. Elle s'appelait Marie-Jeanne, mais les gens l'appelaient juste Jeanne. Son travail était une vraie passion pour elle. Travailler proche de la nature, s'occuper de la beauté des fleurs... Elle n'échangerait son boulot pour rien au monde. L'idée ne lui avait d'ailleurs jamais effleuré l'esprit. Elle jeta un coup d'œil à la zone d'ombre du parc, celle que les gens évitaient toujours. Elle ne savait pas pourquoi elle regardait constamment dans cette décision. C'était probablement inconscient et sans importance, tant qu'elle était heureuse. Contre l'arrosoir, ses doigts effectuaient le même geste frénétique.

Sous terre, dans un endroit secret qui avait été depuis longtemps oublié par ceux qui l'avaient construit, Charlie tapotait sur la table de son bureau. La table était grise, comme sa veste, comme les murs, comme les plantes, comme le sol. Tout était parfaitement ordonné dans cette grande salle vide. Pas la moindre poussière ou le moindre dossier de travers. Pas la moindre couleur, la moindre folie. Tout n'était que sobriété et contrôle. La symétrie était totale. Une seule chose venait troubler cet équilibre parfait : le son du tapotement sur la table. Le rythme de ses doigts qui s'abattaient sur le bois était régulier, cependant il s'accélérait petit à petit. Si ça continuait, d'ici quatre minutes, la vitesse serait telle que ses doigts commenceraient à en être endoloris. Charlie savait pourquoi iel faisait cela, et ça l'agaçait au plus haut point. Iel était stressé·e. Le contrôle était un sentiment tellement familier et agréable qu'une situation où le moindre élément lui échappait lui devenait rapidement insupportable. Or, iel avait l'horrible sensation de ne rien contrôler actuellement. Charlie devait s'y résoudre, iel n'était pour l'instant pas en situation de force. Tout dépendait trop de la petite Aurore et de son bon vouloir à travailler avec ZETA, il ne fallait pas tout gâcher et l'apprivoiser tout doucement, gagner sa confiance et relancer le projet Harmonie. Dire qu'il avait déjà failli arriver à son terme...

Charlie était debout, prêt à activer la manette. L'immense et impressionnante machine ronronnait déjà. Un simple geste de sa part, et tout serait terminé. L'équilibre total. L'ordre absolu. Iel sentait que son visage se déformait à cette idée ; iel se mettait à sourire, ce qui était inhabituel pour iel. Sauf que Déborah Aldric, la Gardienne qui s'était associée à ZETA pour le projet avait changé d'avis à l'ultime instant.

« Non. » avait-elle simplement dit, avant de partir sans se retourner.

L'individu en gris avait hurlé, supplié, exigé des explications. Rien à faire. La machine n'était devenue qu'un tas de ferraille poussiéreux ; sans la Gardienne, elle était inutile. À ce jour, ça restait le souvenir le plus douloureux de Charlie. Iel en rêvait chaque nuit, iel y pensait chaque jour. A travers elle, Marie-Jeanne et Steve y pensaient aussi. Tout autant que Laurie, Hubert, Ivan, Germaine, Kylian, Enzo, Nathalie, Oscar, Gabrielle et tous les autres agents municipaux. C'était devenu une cicatrice qui ne voulait pas se refermer. Jamais iel ne s'était senti·e aussi proche d'être anéanti·e.

Désormais, iel pouvait à nouveau entrevoir un futur dans lequel le projet C serait lancé. Et s'il fallait accepter quelque variable incontrôlable dans l'équation, Charlie était prêt·e à l'accepter. Cependant, ça n'en devenait pas agréable pour autant. Néanmoins, elle avait reçu quelques informations de son principal agent de terrain. Apparemment, cet Antoine qu'avait rencontré Aurore et Patricia n'avait pas agi seul. Une sorte de confrérie de mages amateurs, probablement pas très dangereux mais extrêmement imprévisible. Et Charlie n'aimait pas ce qui était imprévisible.

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⏰ Last updated: Apr 28, 2022 ⏰

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Aurore et les Mondes de la NuitWhere stories live. Discover now