Toujours plus loin

Chapitre 1

La ville dort, mais Alexia, elle, n'a pas envie de sombrer dans les bras de Morphée. 03 h 00 du matin passé lundi soir, à cette heure de la nuit où on n'est plus tout à fait hier, mais pas encore demain. Il est tard, elle sait, mais le sommeil ne vient pas. Cela fait deux bonnes heures qu'elle tourne et se retourne sur elle-même. Alors, autant s'extraire du lit... Et laisser Kevin tranquille ? D'ailleurs, il n'est même pas là ce soir... Souvent, en son absence, elle a cette impression de l'avoir à ses côtés. Habitude...

Oui, une femme d'habitudes, comme cette manière de sortir de la chambre sur la pointe des pieds alors qu'elle est seule ? Non, ça n'est pas dans ses habitudes de sortir de son lit à cette heure de la nuit. Mais ce soir, disons qu'elle est déréglée. Elle a envie de profiter du calme en cette heure tardive.

Elle n'est ni triste, ni déprimée, seulement un peu lasse. Alexia est seule ce soir, Kevin étant de garde à la caserne. Elle constate qu'en sa présence, elle ne se lève que rarement au cours de la nuit. Une autre habitude, celle sans doute qu'elle préfère : s'endormir auprès de son homme, et se réveiller le matin à ses côtés.

Mais elle a choisi un pompier, alors il faut composer avec ses horaires décalés. Quand il est là, Kevin s'endort vite et profondément. Elle aussi s'endort facilement, mais toujours après lui, après l'avoir observé un long moment ! Quand il est là... Malgré tout, elle aime son homme ! Mais bon avec ses nuits, ses gardes comme pompier ça n'est pas simple d'être synchro surtout avec son job de serveuse : des horaires pourris, des week-ends bouffés. Et pour elle, une paie qui ne suit pas... Ce soir, en cet instant, Alexia n'a pas envie d'y penser. Elle est préoccupée par tout autre chose.

Elle a un peu le sentiment de sortir de la chambre comme une voleuse. Pas pour aller bien loin ; juste sur le balcon, regarder cette ville, et au loin la tour Eiffel briller. Nuit fraîche et à la fois douce, nuit hésitante de fin d'hiver et qui annonce le printemps. Elle enfile sa doudoune posée sur une des chaises de la table du salon.

Paris dort, et lui prend l'envie de fumer une cigarette sur le balcon. Peut-être la dernière, car si demain... Demain, ce sera demain. Pour le moment, Alexia a juste envie d'être dans cet instant où il n'y a qu'elle. Dans quelques mois, neuf, ils seront peut-être trois. Elle a toujours aimé avoir ces moments dans la nuit, rien que pour elle ; ces moments où l'on sait, sauf malheur, qu'il est trop tard et que l'on ne sera pas dérangé.

Elle sort son téléphone, ouvre son compte Instagram. Elle parcourt quelques stories, quelques copines, elle en compte peu ; mais ce sont surtout les stories des filles qu'elle suit. Elle ne croit pas aux influenceurs dit-elle, mais ça l'amuse et la distrait de voir ces nanas étaler leur vie de cette manière-là, de prodiguer un tas de conseils que personne ne suivra jamais. Pas elle en tout cas, le maquillage, les formes, les vêtements. Elle fait le minimum, et elle s'en sort pas trop mal du haut de ses vingt-sept ans, pense-t-elle. Elle jette un œil dans le miroir en face d'elle, doudoune ouverte.

Le compte de Kevin, en revanche ; c'est différent, bien évidemment. C'est le compte de son homme. En plus de son métier de pompier, il sait prendre la pause pour montrer ses muscles. Elle n'est pas jalouse et s'en fout un peu tant que cela reste virtuel.

Les mecs balèzes ça n'a jamais été son truc même si cela n'est pas désagréable d'avoir un mâle musclé à la maison, et dans son lit ! Même si un peu de moins de muscles pouvait être le prix d'un peu plus de présence, eh bien elle serait partante.

Toutes ces heures passées à la salle avec ses potes, les repas qu'il faut préparer, ce sont des moments en moins partagés ensemble. La diète, lui dit-il, c'est essentiel ! Alexia est si loin de tout cela. Elle brûle suffisamment de calories au boulot durant ses heures de service en salle. Alors se retrouver entre quatre murs, pour essayer d'éliminer cellulite et culotte de cheval... Pas pour elle. Elle est encore ferme, à vingt-sept ans, c'est normal, non ?

Elle aime se laisser aller à ses pensées. Et elles sont nombreuses ce soir, comme depuis quelques jours. Dans quelques mois elle sera maman. Ils seront parents avec Kevin. Elle se le dit à l'affirmatif. Une nouvelle vive après plus de trois ans de relation. À vingt-sept ans. C'est le bon âge, pense-t-elle. Mais en même temps cela lui fait peur. Est-elle prête ? Elle a aimé leur vie à deux, mais un petit ça mettra davantage de vie dans cet appartement de fonction qui compte une chambre en plus.

Une moto file, vrombissements dans cette nuit calme de février. Alexia regarde cet objet de liberté s'évanouir dans l'avenue. La moto de Kevin est garée en bas. Elle aime cette sensation de vitesse et de peur qui la saisit quand elle monte derrière lui. Mais ça aussi ne faudra-t-il pas arrêter s'ils deviennent parents ? Parents, maman, papa ? Cela la grise !

Dans son sac se tient la réponse à ses questions. Les symptômes, les premiers, ceux de la grossesse elles commencent à les ressentir. Mais "non je ne suis pas malade !", se répète-t-elle à l'envie. Le test elle le fera demain. Demain, aujourd'hui ? Elle est un peu perdue à cette heure de la nuit. Elle reste encore un moment à profiter de sa solitude et surtout pour que se dissipe l'odeur de la clope.

Elle glisse une main dans le bas de son pyjama. Elle frotte, elle mouille. Fantasmes. Sirène d'un camion de pompiers. Oups ! Kevin, ses collègues ! De toute façon, de là où elle est, ils ne peuvent pas la voir. Elle est au troisième, dans le noir, et en retrait, mais tout de même. Non, ça n'est pas une exhibitionniste... Kevin lui reproche de trop faire attention au regard des autres. Quand il se met à tripoter en public. C'est vrai qu'elle se sent gênée. Et lui ça l'amuse, et donc il continue de plus belle, riant. Timide ? Pudique certainement.

Maman. Qu'est-ce qu'elle a fait jusqu'ici ? Sexuellement où elle en est-elle ? Elle a eu deux trois mecs avant Kevin. Mais Kevin est sa relation la plus sérieuse. La plus épanouie sexuellement.