Chapitre LV : En deuil

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Assis non loin de l'arche naturelle, les compagnons attendaient, silencieux. Seul le murmure du vent et le frémissement des cordes du luth de Gaultier brisaient le calme qui les enveloppait depuis déjà bien trop longtemps. Debout derrière eux se tenait Sylvebarbe, immobile, comme endormi. Or, ses pupilles dorées contemplaient elles aussi l'arche naturelle où s'étaient éclipsés le Roi sous la Montagne et la Louve géante.

Assis près du barde, Bilbo jouait, distré, avec les brins d'herbe à ses pieds. Un à un, il les arrachait avant de les enrouler autour de ses doigts pour tenter de faire passer le temps. Le sol verdoyant s'éclairait sous les timides rayons de la lune et des perles, à peine visibles, couronnaient les hauts brins d'herbe. Le Hobbit se plut à caresser cette douce végétation du bout du pied. Nostalgique, cela lui rappelait les vastes étendues verdoyantes et brillantes de la Comté.

Le Semi-Homme soupira. Il lâcha la fine végétation avant de poser ses pâles pupilles sur les arbres aux branches entrelacées. Il se frotta les yeux et retint un bâillement tandis qu'autour de lui les Nains s'impatientaient. Malgré le silence, le Hobbit percevait des onces d'agacement illuminer les pupilles de certains de ses compagnons.

L'horizon toujours immobile, Bilbo se tourna vers Gaultier et observa les doigts du poète pincer les cordes de son instrument. Presque amusé, le Hobbit voyait les lèvres du barde bouger mais, recouvertes par les complaintes du vent, ses paroles ne lui parvenaient pas. Le Semi-Homme n'entendait qu'un simple murmure animé par la musique qui s'élevait de son luth. Presque apaisé, Bilbo posa sa tête contre le tronc d'arbre derrière lui et se contenta d'écouter les notes de musique encore fébriles et la voix à peine audible du barde.

Le Hobbit fronça les sourcils lorsqu'il aperçut les Nains se redresser. À son tour, le Semi-Homme bondit, les yeux rivés vers les arbres entrelacés. D'abord indécis, il plissa les yeux avant d'apercevoir une silhouette se détacher de l'obscurité. À pas lents, celle-ci s'approchait tandis que la Compagnie restait debout, immobile et muette. Le vent lui-même semblait s'être tu lorsque Thorïn, les cheveux balayés par la brise silencieuse, apparut, tel un ange déchu. Sous les yeux des compagnons, le Grand Nain avançait, l'arme divine dans le dos.

Les traits du visage tirés par une tristesse infinie, Ecu-de-Chêne avait perdu toute prestance. Les épaules basses et les yeux rivés vers le sol, Thorïn ne prononça aucune parole lorsqu'il dépassa la Compagnie toujours silencieuse. Sans un mot, le Nain marchait, les yeux éteints. Telle une ombre dans la nuit, il s'éclipsa de ses compagnons, comme honteux d'être parmi eux. Simple corps dénué d'âme, le Roi sous la Montagne s'éloigna sans jamais se retourner et se laissa finalement engloutir par la nuit.

Troublés, les compagnons se jetèrent des regards incrédules. L'estomac noué, Bilbo contempla les arbres entrelacés.

Où était Alyson ?

Pourquoi Thorïn était-il revenu seul ?

Le cœur battant contre ses tempes, le Hobbit, impatient, s'avança de quelques pas vers l'arche avant de se retourner lorsque la voix caverneuse de Sylvebarbe s'éleva derrière la Compagnie.

- Hroum...

- Que s'est-il passé ? Demanda le Hobbit.

Le Semi-Homme frissonna lorsqu'il perçut la lueur de tristesse se dessiner dans les pupilles dorées de l'Ent ancestral.

- Où est passée Dame Alyson ? Ajouta Dori.

Les Nains se tournèrent vers l'Esprit des bois. Ce dernier soupira et murmura de longues complaintes avant d'observer la Compagnie.

- Sylvebarbe ? Insista Bilbo.

- Hroum... L'ultime sacrifice... Hmm...

- L'ultime sacrifice ? De quoi parlez-vous donc ? S'agaça Dwalïn.

Le Hobbit : Sombres présages [Tome 2]Donde viven las historias. Descúbrelo ahora