Chapitre 3

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Mon père nous mena loin, dans la gueule des ténèbres, et plus loin encore, au cœur d'une nuit sombre et nuageuse. Ce soir, il n'y avait ni étoiles, ni Lune, pour éclairer notre chemin. Nous ne permîmes pas aux Hobbits de faire halte à la grisaille de l'aube. Alors, ayant pitié d'eux qui dormaient presque sur leurs jambes titubantes, je les fis monter sur Tirweg, ce qui nous permis d'accélérer l'allure. Mais même l'Arpenteur commençait à fatiguer, marcher aussi vite était difficile et nous fîmes donc une pose la nuit suivante. Mon père et moi montions le guet à tour de rôle.

Le lendemain, Anor ayant déjà beaucoup grimpé, nous les réveillâmes.

« Buvez ceci ! » dit alors Glorfindel et versant à chacun, de sa flasque de cuir cloutée d'argent, un peu de liqueur. J'en bu également, mais contrairement au Hobbits, ne pris pas d'autre petit déjeuner. J'avais hâte de partir, les cavaliers se rapprochaient de jour en jour.

Le temps passait, tandis que l'on s'approchait du Gué. En fin d'après midi, quelques jours plus tard, nous arrivâmes à un endroit où la Route passait soudainement dans l'ombre de grands pins, avant de s'enfoncer dans de profondes tranchées dont les murs de pierre rougeâtre s'élevaient à pic de chaque coté, ruisselants d'humidité. Comme nous nous hâtâmes de la traverser, elle était parcourue d'échos ; et on eut dit que de nombreux pas suivaient rapidement les nôtres. Tout à coup, comme par un portail de lumière, la Route déboucha de l'autre coté du tunnel. Là, au bord d'une forte déclivité, nous vîmes s'étendre devant nous un long mille plat, et au-delà, le Gué de Fendeval. De l'autre côté s'élevait une berge brune et escarpée ou se faufilait un sentier sinueux. Derrière, les hautes montagnes escaladaient, éperon par dessus éperon, cime après cime, le bleu estompé du ciel.

Un écho de poursuite subsistait dans la tranchée derrière nous : un bruit torrentueux, comme si un vent se levait et se déversait dans les branches des pins. Mon père se tourna un moment pour écouter, puis s'élança avec un grand cri.

« Fuyez ! S'écria-t-il. Fuyez ! L'Ennemi est sur nous ! »

Les Hobbits descendirent rapidement de Tirweg tandis que je l'enfourchait. Un des Hobbit, joufflu nommé Samsaget, me regarda avec espoir. Asfaloth bondit en avant Tirweg également. Glorfindel et Aragorn nous suivaient en arrière garde.

Nous n'avions franchit que la moitié du plat, quand soudain retentit un tonnerre de chevaux au galop. Du portail d'arbre dont nous étions sortit surgit un Nazgul. Il serra la bride de sa monture et s'arrêta, vacillant sur sa selle. Un autre le rejoignit, puis encore un autre ; et enfin, deux de plus.

« En avant ! Au galop ! » Cria mon père à Frodo.

Il n'obéit pas tout de suite, saisi d'une étrange hésitation. Remettant son cheval au pas, il se retourna et regarda en arrière. Les Cavaliers semblaient trôner sur leurs grands coursiers comme de sinistres statues au sommet d'une collines, sombres et massives. Intervenant avant la catastrophe, je saisis les rênes d'Asfaloth et lançais mon cheval au galop.

« Noro lim Asfaloth, Tirweg, noro lim !

Les chevaux s'élancèrent aussitôt, et filèrent comme le vent dans la dernière ligne droite. Au même moment, les coursiers noirs dévalèrent la colline a notre poursuite et un cri terrible monta des Cavaliers. Une réponse vint et quatre autres Cavaliers surgirent en trombe d'entre les arbres et les rochers sur la gauche. Deux d'entre eux de dirigèrent vers Frodo, les deux autres galopèrent follement vers le Gué pour nous barrer la route.

Les Cavaliers à nos trousses perdaient du terrain. Ils ne pouvaient rivaliser en vitesse avec Asfaloth et Tirweg. Les deux Cavaliers qui se tenaient au Gué ne pourrait nous arrêter. Là, il y avait un espace ou passer. Je m'y dirigeais bride abattue. Asfaloth dans mon sillage, ses clochettes tintant furieusement. Frodo avait l'air mal en point sur son dos tandis que dans un dernier élan, nos chevaux filant à tire d'aile passait au visage du Cavalier le plus avancé.

J'entendis un éclaboussement d'eau. Elle écumait à nos pieds. Nos montures se soulevèrent et quittèrent le Gué sans ralentir. Nous gravissions la berge escarpé, le Gué franchit, et nous nous arrêtâmes en haut de la berge. Les Neuf se tenaient arrêtés, de l'autre côté du Gué, visages levés vers nous.

Soudain, le premier Cavalier éperonna son cheval qui se cabra, renâclant devant l'eau. Se redressant avec effort à mes côtés, Frodo brandit son épée.

« Allez-vous en ! Cria-t-il. Retournez au Pays de Mordor et cessez de me suivre !

Les Cavaliers firent halte et se rirent de lui, d'un rire dur et froid.

« Reviens! Reviens ! Lancèrent-ils. Au Mordor nous t'emmènerons !

-Allez vous en ! Souffla le Hobbit

- L'Anneau ! L'Anneau ! Crièrent les Nazguls d'un voix mortelle. Et leurs chef poussa son cheval dans l'eau, suivi de près par deux autres. Derrière moi, j'aperçus brusquement Elrond.

- Par Elbereth et par Lúthien la belle ! Dit Frodo dans un ultime effort, levant son épée. Vous n'aurez ni l'Anneau, ni moi ! »

Alors le chef, qui se tenait à présent au milieu du Gué, se dressa de façon menaçante sur ses étriers, et il leva une main. Frodo pâlit brusquement et son épée se brisa et tomba. Asfaloth se cabra et s'ébroua. Le premier des chevaux noir avait presque foulé la rive. J'entendis la voix d'Elrond psalmodier et à ce moment là vint un grondement de torrent : un bruit d'eau tumultueuses charriant quantité de pierre. Les eaux de la rivière montèrent tandis qu'une cavalerie de vagues empanachées se ruait le long de son cours. Des flammes blanches semblaient danser sur leurs crêtes, et parmi les flots, je cru apercevoir des cavaliers blancs sur des montures opalines aux crinières écumantes. Les trois Cavaliers qui se trouvaient encore au milieu du Gué furent submergés. Ils disparurent, soudain emportés par des eaux courroucées. Ceux qui étaient derrière se replièrent, atterrés.

Alors Elrond et Gandalf apparurent derrière les Cavaliers restant, accompagnés d'Aragorn, de Glorfindel et du reste du groupe qui brandissaient des brandons enflammés. Les chevaux noirs furent prit de panique et entraînèrent leurs cavaliers dans les eaux tumultueuses. Leurs cris perçant furent noyés par le grondement de la rivière qui les emportait.

Je vis à côté de moi Frodo s'évanouir et tomber d'Asfaloth. Les eaux se calmèrent et mes compagnons de voyages purent traverser. Gandalf accourut et prit Frodo dans ses bras et nous rentrâmes tous ensemble à Fondcombe.

La Guerre de l'Anneau- Quand un personnage peut changer l'histoire. T.1: PertesWhere stories live. Discover now