Chapitre 13

27 3 0
                                    

Ce matin là, nous allumâmes un feu dans un creux profond, voilé de grands buissons de houx, et notre petit déjeuner souper fut plus gai qu'il n'avait jamais été depuis notre départ. Mes compagnons ne se hâtèrent pas de se coucher ensuite, s'attendant à avoir toute la nuit pour dormir, car nous n'avions pas l'intention de repartir avant le lendemain soir.

Je n'étais pas aussi sereine. Un mauvais pressentiment me nouait l'estomac sans que je n'en devine l'origine. Aragorn aussi était silencieux et inquiet. Après un moment, il quitta la Compagnie et s'en alla vers la crête, là, debout dans l'ombre d'un arbre, il inspecta le sud et l'ouest, l'oreille tendue. Je le suivi, et là, le silence me frappa. On n'entendait que nos joyeux compagnons qui riaient aux blagues de Pippin. Nous échangeâmes un regard avant de revenir au bord de la combe et il regarda d'en dessus les autres qui bavardaient en riant.

- Qu'y a t'il, Grands-Pas? lui cria Merry. Que cherchez-vous? Serait-ce le vent d'est qui vous manque?

- Non certes, répondit-il. Mais il me manque quelque chose... Je suis déjà venu dans le pays de Houssaye en maintes saisons. II n'y demeure plus de gens, mais bien d'autres créatures vivent ici en tout temps, particulièrement des oiseaux. Pourtant, le silence règne partout, sauf chez vous. Je le sens. Il n'y a pas un son sur plusieurs milles à la ronde, et vos voix semblent faire résonner le sol. Je ne comprends pas.

Gandalf leva la tête avec un intérêt soudain

- Mais à quelle raison attribuez-vous cela? demanda t'il. Y a t'il autre chose là-dedans que la surprise de voir quatre Hobbits, sans compter le reste d'entre nous, là où l'on voit ou entend rarement des gens?

- Non, répondis-je, partout où nous sommes passés, la foret se taisait, mais toujours demeurait un petit furet, un rouge-gorge ou un lapin courant ou criant se cacher le cœur battant au fond de leurs terriers... Ici, je n'entends ni vois rien de tout cela. Même si il me fallut du temps pour m'en apercevoir.

- Malheureusement je ne crains que de devoir approuver Lainceleg, répondit Aragorn. J'ai une impression de vigilance aux aguets que je n'ai jamais eue ici auparavant.

- Dans ce cas, nous devons être plus prudents, dit Gandalf. Quand on emmène avec soi un Rôdeur, il est bon de lui prêter attention, surtout quand ce Rôdeur est Aragorn, et d'autant plus quand un elfe de la Maison de Glorfindel rend un si sombre jugement ! Nous devons parler moins haut, nous reposer tranquillement et établir une garde.

C'était le tour de Sam, ce jour là, de prendre la première garde mais je le remplaçai, et Aragorn se joignit à moi. Les autres sombrèrent dans le sommeil. Puis le silence grandit au point que je semblais avoir oublié à quoi ressemblait les piaillements des oiseaux et que le souffle pourtant calme des dormeurs me semblaient un ouragan. Les coups de queue du poney et ses piétinements occasionnels devenaient de grands bruits. Un silence de mort régnait autour de nous, et par-dessus tout cela s'étendait un ciel bleu et clair, tandis que le soleil se levait à l'est. Au loin dans le sud apparut une tache noire, qui grandit et chassa vers le nord comme une fumée poussée par le vent.

- Aragorn qu'est-ce que cela ? L'interpellais-je brusquement. Ce n'est pas un nuage... Il va contre le vent.

Celui ci ne répondit pas, il observait attentivement le ciel. Ma vision se précisa tandis que le « nuage » venait vers nous et je finis par reconnaître ce qui approchait: une volée d'oiseaux s'avançait rapidement et survolait tout le pays en tournoyant comme à la recherche de quelque chose, et elle arrivait rapidement. Mes yeux s'agrandirent sous la surprise et la crainte qui me prit soudainement.

- Des crébains de Fangorn et du pays de Dun ! Aragorn couchez vous !

Nous nous cachâmes sous un buisson de houx, car tout un régiment d'oiseaux s'était tout d'un coup détaché de l'armée principale, et il piquait, volant bas, droit sur la crête. Ils ressemblaient à une sorte de corbeaux de grande taille. Ils passèrent au dessus du groupe, en une multitude si dense que leur ombre les suivait en jetant l'obscurité sur le sol, et un unique coassement se fit entendre. Ce ne fut pas avant qu'ils se fussent perdus dans le lointain au nord et à l'ouest et que le ciel fût redevenu clair qu'Aragorn se leva. Il bondit alors et alla réveiller Gandalf.

La Guerre de l'Anneau- Quand un personnage peut changer l'histoire. T.1: PertesWhere stories live. Discover now