Chapitre 5

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Le lendemain matin, j'étais à discuter avec Lindir, un des elfes de la maison d'Elrond, quand retentit soudain le son clair d'une cloche.

« - Voilà le signal du Conseil d'Elrond, dis- alors à Lindir. Ma présence est requise et je dois donc prendre congé de vous pour m'y rendre.

- Bien entendu, je ne peux vous retenir quand vous êtes demandée par le seigneur Elrond, répondit-il Cuïo vae Lainceleg !

- Cuïo vae Lindir ! »

Je me dirigeais alors vers le lieu du conseil. La lumière de ce clair matin d'automne rayonnait à présent dans la vallée. Le bruit des eaux bouillonnantes montait du lit écumeux de la rivière. Les oiseaux chantaient, et une saine paix s'étendait sur la terre. Mais les temps étaient sombres et tous les visages des personnes présentes étaient graves.

Elrond était là, et plusieurs autres personnes étaient assises en silence autour de lui. Je vis Glorfindel, auprès de qui je m'assis, ainsi que de nombreux elfes, plusieurs nains dont je ne connaissais pas les noms. Et, seul dans un coin, était assis Aragorn, revêtu de nouveau de ses vieux habits fatigués par les voyages. Peu après, Frodo arriva en compagnie de Bilbo et Gandalf, et Elrond l'attira vers un siège à côté de lui, et il le présenta à la compagnie en ces termes.

« - Voici, mes amis, le Hobbit, Frodo fils de Drogo. Peu de gens sont venus jusqu'ici au prix de périls plus grands et pour une mission plus urgente.

Puis il désigna et présenta à Frodo les personnes qu'il n'avait encore jamais rencontrés. Le représentant des nains de la Montagne Solitaire se nommait Gloïn, côté de lui se trouvait un jeune nain: son fils Gimli. Outre Glorfindel, il y avait plusieurs autres conseillers de la maison Elrond, dont le chef était Erestor, et avec lui était Galdor, un Elfe des Havres Gris, venu en mission de la part de Cirdan, le charpentier de navires.

Il y avait aussi Legolas, vêtu de vert et de brun, messager de son père Thranduil, le Roi des Elfes de la Forêt de Grand'Peur au Nord. Et, assis à part, était un homme de haute taille au beau et noble visage, aux cheveux bruns et aux yeux gris, au regard fier et grave, qui était arrivé dans la nuit. Il portait un manteau et des bottes comme pour un long trajet à cheval, et, en vérité, bien que ses vêtements fussent riches et que son manteau fût bordé de fourrure, ils étaient défraîchis par un long voyage. II avait un col d'argent dans lequel était sertie une seule pierre. Ses cheveux étaient coupés à hauteur des épaules. Sur un baudrier, il portait un grand cor à bordure d'argent, à présent posé sur ses genoux. Il examina Frodo et Bilbo avec un étonnement soudain.

- Voici, dit Elrond, se tournant vers Gandalf, Boromir, un homme du Sud. Il est arrivé dans le matin gris, et il cherche conseil. Je l'ai prié d'être présent, car ses questions recevront ici une réponse.

II est inutile de rapporter tout ce qui fut dit et débattu en ce Conseil. Il fut beaucoup question des événements du monde extérieur, surtout dans le Sud et dans les vastes régions à l'est des Montagnes. De ces choses, j'avais déjà entendu maintes rumeurs. Cependant, le récit de Gloïn était tout à fait nouveau, et quand le nain parla, je prêtai une oreille attentive.

II apparaissait que parmi la splendeur des œuvres de leurs mains, les Nains de la Montagne Solitaire avaient le cœur troublé.

- Il y a maintenant bien des années, dit Gloïn, qu'une ombre d'inquiétude est tombée sur notre peuple. Nous n'en perçûmes pas tout d'abord l'origine. On commençait à murmurer en secret : on disait que nous étions enfermés dans un espace étroit, et qu'on trouverait de plus grandes richesses et plus de splendeur dans un monde plus large. Certains parlaient de la Moria : Les puissantes œuvres de nos pères, appelées dans notre langue Khazad-dûm, et ils déclaraient que maintenant enfin nous avions le pouvoir suffisant si nous étions en assez grand nombre pour y retourner.

Gloïn soupira

- La Moria ! La Moria ! Merveille du monde septentrional! Trop profondément fouillâmes-nous là, et nous éveillâmes la peur sans nom. Longtemps sont restées vides ses vastes demeures depuis la fuite des enfants de Durin. Mais à présent on en reparlait avec nostalgie, mais non sans crainte, car nul nain n'a osé passer les portes de Khazad-dûm durant bien des générations de rois, hormis le seul Thrôr, qui périt. Mais, enfin, Balin prêta l'oreille aux murmures et résolut d'y aller, et bien que Dâïn n'accordât la permission qu'à contrecœur, il emmena avec lui Ori et Oin, et nombre des nôtres, et ils partirent pour le Sud.

- Cela s'est passé il y a près de trente ans. Pendant quelque temps, nous avons eu des nouvelles, qui paraissaient bonnes: des messages indiquaient qu'ils avaient pénétré dans la Moria et qu'un grand travail y avait commencé. Puis ce fut le silence, et depuis lors plus aucune nouvelle n'est venue de la Moria.

- Et puis, il y a environ un an, un messager est venu à Dâïn, mais non pas de la Moria, mais de Mordor: Un cavalier dans la nuit, qui a appelé Dâïn à notre porte. Le Seigneur Sauron le Grand souhaitait, dit-il, notre amitié. Pour cela, il donnerait des anneaux, comme ceux qu'il donnait jadis. Et le messager demanda de façon pressante des renseignements sur les Hobbits, de quelle espèce ils étaient et où ils demeuraient. «Car Sauron sait, dit-il, que l'un d'eux vous fut connu à certaine époque»

- En entendant cela, nous fûmes grandement troublés et nous ne donnâmes point de réponse. Alors son ton féroce baissa et il aurait adouci sa voix si ce lui eût été possible. «En petit gage de votre amitié, Sauron demande ceci, dit-il: que vous découvriez ce voleur (tel fut le mot qu'il employa) et que vous obteniez de lui, bon gré mal gré, un petit anneau, le moindre des anneaux, qu'il vola autrefois. Ce n'est qu'une bagatelle dont Sauron s'est entiché, et un gage de votre bonne volonté. Trouvez le, et trois anneaux que vos ancêtres nains possédaient jadis vous seront rendus, et le royaume de la Moria sera vôtre pour toujours. Trouvez des nouvelles du voleur, s'il vit encore et où, et vous recevrez une grande récompense en même temps que l'amitié durable du Seigneur. Si vous refusez, les choses n'iront pas aussi bien. Refusez-vous?»

- A ces mots, son souffle vint comme le sifflement des serpents, et tous ceux qui se trouvaient là
frissonnèrent, mais Dâïn répondit: «Je ne dis ni oui ni non. Il me faut considérer ce message et ce qu'il signifie sous ses beaux dehors. «Réfléchissez bien, mais pas trop longtemps», dit-il. «Le temps de ma réflexion, c'est à moi d'en décider», répondit Dâïn. «Pour le moment! » Dit-il, et il repartit dans les ténèbres.

Lourds ont été les cœurs de nos chefs depuis cette nuit là. Il nous fallait la voix féroce du messager pour nous avertir que ses paroles contenaient en même temps menace et tromperie, car nous savions déjà que le pouvoir qui est de nouveau entré en Mordor n'a pas changé, et il nous a toujours trahis dans le passé. Le messager est revenu par deux fois, et il est reparti sans réponse. La troisième et dernière fois ne tardera pas, ce sera avant la fin de l'année, a t'il dit. C'est pourquoi Dâïn m'a finalement envoyé prévenir Bilbo qu'il est recherché par l'Ennemi et apprendre, s'il est possible, pourquoi celui ci désire cet anneau, ce moindre des anneaux. Et aussi, nous désirons ardemment les conseils d'Elrond. Car l'Ombre croît et s'approche. Nous découvrons que des messagers sont aussi venus au Roi Brand fils de Bain fils de Bard au Val, et qu'il en est effrayé. Nous craignons qu'il ne cède. Déjà, la guerre s'assemble à ses frontières orientales. Si nous ne répondons pas, l'Ennemi peut pousser des hommes de son obédience à assaillir le Roi Brand et Dâïn également.

- Vous avez bien fait de venir, dit Elrond. Vous entendrez aujourd'hui tout ce qu'il vous est nécessaire de savoir pour comprendre les desseins de l'Ennemi. Il n'est d'autre possibilité pour vous que de résister, avec ou sans espoir. Mais vous n'êtes pas seuls. Vous apprendrez que vos difficultés ne sont que parties des difficultés de tout le monde occidental. L'Anneau! Que ferons-nous de l'Anneau, ce moindre des anneaux, cette bagatelle dont Sauron s'est entiché? C'est le destin que nous devons considérer. »

La Guerre de l'Anneau- Quand un personnage peut changer l'histoire. T.1: PertesWhere stories live. Discover now