Chapitre 20

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- Je crains, hélas! que nous ne puissions nous attarder ici, dit soudain Aragorn, en écho à mes pensées.

Le regard fixé sur les montagnes, il leva son épée:

- Adieu, Gandalf! S'écria t'il. Ne vous avais-je pas dit: Si vous passez les portes de la Moria, prenez garde? Hélas! J'avais dit vrai! Quel espoir nous reste t'il sans vous?

Puis, se tournant vers la Compagnie, il dit

- Il nous faut abandonner l'espoir. Au moins pourrons-nous encore être vengés. Ceignons nos reins et renonçons aux larmes! Allons! Nous avons devant nous une longue route et beaucoup à faire.

- Oui, répondis-je, nous avons perdu Gandalf. Il ne peut plus nous guider désormais. Alors je le ferai, car je suis ici celle qui connait le mieux ces contrées.

Je regardai alentours. Au nord, la vallée montait par une gorge sombre entre deux grandes avancées des montagnes, au-dessus de laquelle brillaient trois cimes blanches: Le Celebdil, le Danuidhol et le Caradhras, les Montagnes de la Moria. Au sommet de la gorge, un torrent s'écoulait comme une dentelle blanche par une échelle sans fin de petites cascades, et une buée d'embruns était suspendue dans l'air autour du pied des montagnes.

- Voilà l'Escalier des Rigoles Sombres, dis-je, montrant les cascades. C'est par le chemin profondément creusé qui grimpe le long du torrent que nous serions venus, si la fortune avait été plus propice.

- Ou le Caradhras moins cruel, dit Gimli. Il se dresse là tout souriant au soleil!

Il menaça du poing la plus éloignée des cimes enneigées avant de se détourner. A l'est, l'avancée des montagnes se terminait brusquement, et on pouvait voir au-delà des terres lointaines, vastes et indécises. Au sud, les Monts Brumeux s'enfonçaient à perte de vue. A moins d'un mille et un peu en dessous (car ils s'élevaient encore à une grande hauteur sur le côté ouest de la vallée) s'étendait un lac. Il était long et ovale, ressemblant à un grand fer de lance profondément enfoncé dans la gorge du nord, mais son extrémité sud se trouvait au-delà des ombres, sous le ciel ensoleillé. Les eaux en étaient cependant sombres: d'un bleu profond comme un clair ciel vespéral vu d'une pièce éclairée par une lampe. La surface était immobile, sans une ride. Tout autour, un moelleux gazon descendait jusqu'au bord nu et uniforme.

- Voilà le Lac du Miroir, le profond Kheled-zâram ! Dit Gimli avec tristesse. Je me rappelle qu'il avait dit: «Puissiez-vous éprouver de la joie à sa vue! Mais nous ne pourrons nous y attarder» Maintenant, je voyagerai longtemps avant d'éprouver de nouveau de la joie. C'est moi qui dois me hâter de partir, et lui qui doit rester...

La Compagnie suivit alors derrière moi la route qui descendait des Portes. Elle était rude et défoncée, et elle finit par n'être plus au bout de quelque temps qu'un sentier serpentant entre la bruyère et les ajoncs qui poussaient parmi les pierres crevassées. Mais on pouvait encore voir que, dans un temps lointain, une grande voie pavée avait monté en lacets des basses terres du royaume des Nains. Il y avait par endroits au bord du chemin des ouvrages de pierre en ruine, et des remblais d'herbe surmontés de minces bouleaux ou de sapins qui soupiraient dans le vent. Un tournant vers l'est les mena tout près de la prairie du Lac du Miroir, et là, non loin du bord de la route, se dressait une colonne isolée au haut brisé.

- C'est la Pierre de Durïn! S'écria Gimli. Je ne puis passer là sans m'écarter un moment pour contempler la merveille de la vallée!

- Faites vite, alors! dit Aragorn, se retournant pour jeter un regard aux Portes. Le soleil se couche tôt. Peut-être les orques ne sortiront-ils pas avant le crépuscule, mais il nous faut être loin à la tombée de la nuit. Il n'y a presque plus de lune, et la nuit sera noire.

La Guerre de l'Anneau- Quand un personnage peut changer l'histoire. T.1: PertesWo Geschichten leben. Entdecke jetzt