Chapitre 15

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C'était le soir, et la lumière grise diminuait de nouveau rapidement quand il fut décidé de s'arrêter pour la nuit. La lassitude nous avait gagné, même Legolas avait perdu de sa superbe. Les montagnes se perdaient dans l'obscurité croissante, et le vent était froid. Gandalf donna encore à chacun une gorgée du miruvor de Fondcombe. Après s'être restaurés, le magicien nous réunit en conseil.

- Nous ne pouvons, naturellement, repartir ce soir, dit-il. L'attaque sur la Porte de Rubicorne nous a épuisés, et il nous faut nous reposer un moment ici.

- Et après, où irons-nous? demanda Frodo.

- Nous avons encore à accomplir notre voyage et notre mission, répondit Gandalf. Nous n'avons d'autre choix que de poursuivre ou de retourner à Fondcombe. Le visage de Pippin s'éclaira visiblement à la seule mention d'un retour à Fondcombe, Merry et Sam levèrent un regard rempli d'espoir. Mais Aragorn et Boromir ne firent aucun signe. Frodo avait l'air troublé.

- Je voudrais bien être de nouveau là-bas, dit-il. Mais comment pourrais-je y retourner sans honte à moins qu'il n'y ait vraiment aucune autre solution et que nous soyons déjà vaincus.

- Vous avez raison, Frodo, dit Gandalf: retourner, c'est admettre la défaite et en affronter une plus grande encore dans l'avenir. Si nous retournons maintenant, alors l'Anneau doit demeurer ici. nous ne serons pas en état de repartir. Et puis, tôt ou tard, Fondcombe sera assiégée et, après un temps aussi bref qu'affreux, elle sera détruite. Les Esprits Servants de l'Anneau sont des ennemis mortels, mais ce ne sont que des ombres du pouvoir et de la terreur qu'ils posséderaient si l'Anneau Souverain était de nouveau au doigt de leur maître.

- Dans ce cas, il faut poursuivre, s'il y a un moyen, dit Frodo avec un soupir. Sam retomba dans la mélancolie.

- Il y a un moyen possible, dit Gandalf. J'avais pensé depuis le début, quand je commençais à réfléchir à ce voyage, que nous le tenterions. Mais il n'est pas plaisant, et je n'en ai pas encore parlé à la Compagnie. Aragorn était contre son emploi avant que l'on ait au moins essayé de passer le col des montagnes.

- Si c'est une route pire que la Porte de Rubicorne, elle doit certes être mauvaise, dit Merry. Mais mieux vaut nous en parler et nous faire tout de suite connaître le pis.

- La route dont je parle mène aux Mines de la Moria, dit Gandalf. Seul Gimli leva la tête, un feu couvait dans ses yeux. Quant aux autres, la crainte les saisit à la seule mention de ce nom. Même pour les Hobbits, c'était une légende qui évoquait un vague effroi.

- La route peut mener dans la Moria, mais comment espérer qu'elle nous mène au-delà? dit sombrement Aragorn.

- Ce n'est pas là ce qui m'inquiète, intervins-je. Vous connaissez mes craintes Gandalf, cette route ne doit être prise qu'en dernière nécessité...

- Je doute qu'il n'y ai encore d'autres chemins à emprunter hélas, me répondit-il dans les yeux.

- C'est un nom de sinistre augure, dit Boromir. Et je ne vois pas non plus la nécessité d'aller là. Si nous ne pouvons traverser les montagnes, allons vers le sud jusqu'à la Trouée de Rohan, où les hommes sont bien disposés envers les miens, par la route que j'ai prise pour venir. Ou bien nous pourrions aller au-delà et traverser l'Isen pour passer au Longestran et au Lebennin, et arriver ainsi en Gondor des régions voisines de la mer.

- Les choses ont changé depuis que vous êtes venu dans le Nord, Boromir, répondit Gandalf. N'avez-vous pas entendu ce que je vous ai dit de Saroumane? je pourrais avoir des comptes à régler avec lui avant que tout soit terminé. Mais l'Anneau ne doit pas approcher d'Isengard, dans toute la mesure où ce pourra être évité. La Trouée de Rohan nous est interdite tant que nous accompagnons le Porteur. Quant à la route plus longue, nous ne pouvons nous permettre un tel délai. Un pareil voyage pourrait prendre un an, et nous passerions par maintes régions vides et sans asile. Elles n'en seraient pas sûres pour autant. Les yeux attentifs de Saroumane comme de l'Ennemi sont fixés dessus. En venant vers le nord, Boromir, vous n'étiez aux yeux de l'Ennemi qu'un seul voyageur égaré du Sud, et vous ne présentiez aucun intérêt pour lui: il avait l'esprit tout occupé par la poursuite de l'Anneau. Mais vous revenez à présent comme membre de la Compagnie de l'Anneau, et vous êtes en danger tant que vous resterez avec nous. Le danger augmentera à chaque lieue que nous ferons en direction du sud sous le ciel nu.

La Guerre de l'Anneau- Quand un personnage peut changer l'histoire. T.1: PertesWhere stories live. Discover now