2 Décembre

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Les grelots de la porte me préviennent de l'arrivée de ma plus fidèle cliente. Viviane Salazar se lève toujours aux aurores pour être ma première cliente du mois. Un seul jour où elle manquerait à l'appel suffirait à me mettre dans tous mes états. Même si son apparence la laisse paraître plus jeune, Mme Salazar se rapproche doucement de sa huitième décennie.

Je sors de l'arrière-boutique pour découvrir effectivement Viviane plus pimpante que jamais. Comme j'aimerai être aussi belle, chaleureuse et dynamique à mes 76 ans. Sa chevelure blanchie par les années lui prête des airs angéliques. Elle n'a rien avoir avec les divinités venues répandre la bonne parole ou bien encore la paix. Viviane Salazar disperse tout autour d'elle douceur, lucidité et foi. La foi en la vie tout simplement, comme si elle laissait une empreinte d'elle-même en chaque individu ayant la chance de la croiser.

Lorsque je me suis installée en ville, elle a été ma première acheteuse, et depuis, c'est un rituel qu'elle cherche à reproduire chaque mois. Sauf en décembre, là où elle n'arrive que le deuxième du mois. Étrangement, je n'ai jamais réellement pensé à lui demander pourquoi, bien que mon travail repose en grande partie sur des questions personnelles. Viviane n'évoque jamais cette particularité, je me dis que la raison est sûrement bien trop personnelle.

_ Bonjour ma Fran, me salue-t-elle tout sourire.

_ Bonjour Viviane, comment vas-tu aujourd'hui ?

Avec le temps, j'ai appris à la tutoyer et l'appeler par son prénom. Même si je rencontre encore quelques soucis à être aussi familière avec elle, je le fais pour la sécurité de mes mains. Viviane a beau être la femme la plus bienveillante qu'il m'ait été de rencontrer, elle n'en reste pas moins une vielle dame qui sait taper sur les doigts.

_ J'va bien, et toi ?

_ Je ne peux qu'aller bien avec ta visite. De quoi as-tu besoin aujourd'hui ?

_ Une p'tite « Etincelle » pour changer.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Viviane ne m'a jamais commandé d'Etincelle, qui reste pourtant mon produit phare. Devant mon regard interrogateur, elle sort enfin du silence.

_ Hier, c'était la date où qu'est mort mon mari.

_ Je suis désolée, je l'ignorais.

_ Normal mon p'tit, j'te l'a jamais dit ! rit-elle.

Oui, logique quand on y réfléchit.

_ Ça fait longtemps ?

_ Onze ans.

Viviane n'avait pas besoin de mots pour prouver que bien des années plus tard, son mari demeurait toujours dans son cœur. Intact. J'ai toujours été fascinée par cet amour. L'amour éternel, celui qui accordé aux plus sceptiques, ne reste qu'un mythe. A en croire le sourire rayonnant de Viviane, il semble être celui qui nous rend réel dans un monde néanmoins utopique. Le plus paradoxal d'entre tous. Certainement le plus terrifiant également. Tous les amants maudits ne sont pas aussi prompts à une telle résilience. J'ignore si même la plus ardente des flammes pourrait m'envelopper d'une chaleur aussi éloquente.

_ Comment vous vous êtes rencontrés ?

_ Euh... J'm'en rappelle pas, ah !

Nos rires s'entremêlent.

_ C'est qu'on était encore qu'des p'tits bouts d'chou avec mon Francis, justifie-t-elle. J'ai été élevée à côté de c'sacré gaillard ! Nos mamans sont meilleures amies depuis leur naissance. Quelle belle idée qu'elles ont eue d'tomber en cloque en même temps. Au début, faut pas croire, c'était qu'mon ami. J'voyais pas pourquoi qu'il avait pas de p'tite copine, alors qu'il était si beau. Alors j'lui ai d'mandé « Pourquoi qu't'as pas des copines, toi ? ». J'lui ai présenté toutes mes amies, mais y en a aucune qui lui convenait. J'lui disais toujours qu'c'était un vieux croûton. 

L'Etincelle { Noël }Where stories live. Discover now