8 Décembre

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M. Noël s'est décidé à revenir – le bon jour cette fois. Nous nous sommes salués à son arrivée, mais depuis une bonne heure déjà il vagabonde dans son coin. Ce n'est pas pour me déplaire, je n'aimerais pas m'imprégner de sa négativité.

_ Vous savez, je finis par dire, quand je parlais de repasser, je ne disais pas forcément de venir à la première heure, ni de rester toute la journée.

_ Fallait préciser. Ma présence vous déstabilise ?

Vraie question ou ironie, je n'arrive décidément pas à le cerner. Bon Dieu ! cet homme est véritablement « neutre ».

Oui, sa présence me déstabilise. Cependant, je me garde bien de lui signaler.

Premièrement, je ne souhaite pas paraître vulnérable. Certes, il fait deux têtes de plus que moi. Certes, il lui suffirait de me souffler dessus pour me faire disparaître. Certes, il pourrait me blesser avec le rocher qui lui sert de visage.

Deuxièmement, je n'ai jamais été à l'aise avec les hommes. Comme si mon adolescente intérieure, sentimentale et timide, surpassait la femme forte au franc-parler. Je déteste cette enfant, elle n'est ni responsable, ni raisonnable, et incapable de dissocier un homme bon d'un apathique déglingué du cerveau.

_ Coucou !

L'arrivée d'un enfant me coupe dans mes réflexions.

_ Coucou, toi. Tu t'es perdu ?

_ Y paraît que vous rendez les gens heureux.

_ Ah, ça je ne sais pas. Une objection à faire ? je demande à l'intention de Noël.

Bras croisés et visage las, il se contente de hausser les épaules. Cet homme a vraiment l'énergie d'une pantoufle. Une pantoufle rêche, sans aucune fantaisie et qui râpe les pieds.

Je reporte mon attention sur le petit garçon. Son visage rond est entouré de boucles d'or impressionnantes. Ses joues roses m'annoncent que l'automne n'est pas loin de prendre congé. Je ne lui donne pas plus de dix ans. Une part de moi ne peut s'empêcher de lui prêter des airs à Cupidon.

_ Comment tu t'appelles ?

_ Manuel et toi ?

_ Enchantée Manuel, moi c'est Fran.

_ C'est bizarre comme nom, remarque-t-il en penchant la tête.

Rêve ou réalité, je croirais presque entendre Grincheux ricaner derrière moi. Ce doit probablement être le cas, puisque l'enfant se tourne vers lui.

_ Et toi, t'es qui ?

_ Noël.

_ C'est encore plus bizarre.

Cette fois-ci, c'est à moi de me moquer. Mon acolyte de la journée ne semble pas apprécier, puisqu'il me fusille du regard. C'est lui qui a commencé...pensé-je puérilement. Je ne m'attarde pas à lui rendre la pareille et me concentre sur Manuel.

_ Alors, tu es triste ?

_ Je ne sais pas...

Si j'entends encore une fois le mot « neutre », je jure d'interdire l'entrée à Noël et Saint-Valentin. Néanmoins, ce n'est qu'un enfant. Nous-mêmes, adultes, peinons parfois à connaître vraiment nos émotions, mais globalement nous savons distinguer le négatif du positif.

Je décide de tenter une approche différente avec Manuel, sans me concentrer sur le regard pressant de Noël. Je sors de derrière mon comptoir pour venir me mettre à la hauteur du garçon.

L'Etincelle { Noël }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant