3 Décembre

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Priyanka Chavez, a.k.a Prisme, erre dans ma boutique depuis un bon quart d'heure déjà. Sa présence ne m'interpellerait pas autant si elle ne passait pas chaque seconde à commenter le moindre produit dans sa story Instagram, comme si c'était un mignon petit chaton.

_ Ooooh, regardez-moi cette merveille ! s'extasie-t-elle, secouant une boule à neige. J'adore tellement la période de Noël. Oh ! et ça, c'est tout joli aussi.

Que l'on se mette d'accord, je n'ai aucun problème avec les influenceurs ; je n'aime juste pas son manque d'authenticité, sa voix dérivant vers des octaves presque imperceptibles.

Et puis, j'oubliais : je n'aime juste pas Priyanka. Pour différents motifs qui me ramènent à ma misérable vie de collégienne.

Motif numéro un : son vocabulaire majoritairement composé d'onomatopées.

_ Paaaam...

_ Fran, je la corrige.

Motif numéro deux : même après quatre années dans la même classe, elle n'a toujours pas intégré mon prénom - à trois lettres près me direz-vous.

_... cette petite boutique est toute mimi.

Motif numéro trois : cette touche de condescende qu'elle ajoute à toutes ses phrases.

Motif numéro quatre : sa façon de se coller à moi pour me montrer à sa communauté comme sa collaboratrice fétiche.

_ Et je vous présente Pam...

_ Fran.

_... c'est la gérante – et une de mes vieilles amies. Alors dis-moi, c'est vraiment toi qui confectionne ces fabuleuses bougies ?

_ Euh, c'est...

_ Tu n'as tout de même pas une colonie d'enfants dans ta cave ?

Je n'arrive pas à déceler si sa question en est vraiment une.

Elle ne me laisse pas le temps de répondre – ni de réfléchir -, et réplique aussitôt :

_ Je plaisante !

Confirmant ainsi mes doutes : elle est timbrée.

_ Excuse-moi Priyanka, mais tu pourrais ne pas me filmer, s'il te plait ? Ça me met mal à l'aise.

Je ne devrais pas avoir à m'excuser, mais c'est ce que j'ai toujours fait au cours de mes années adolescentes. Ryme me le faisait d'ailleurs trop souvent remarquer. Même si j'ai appris à prendre plus d'assurance depuis, la présence de mon ancienne camarade semble être une sensationnelle machine à remonter le temps.

Pour mon plus grand plaisir, elle se résout à ranger son téléphone en s'excusant. Non sans une réflexion ajoutée ensuite.

_ C'est vrai, tu as toujours été très...discrète.

Nous noterons l'effort de ne pas trébucher sur le terme « transparente ».

_ Oui, c'est vrai. Et tu n'es pas obligée de me faire de la pub aussi, même si je t'en remercie. Je n'ai juste pas de quoi te payer.

_ Mais t'es folle ? Je le fais par pur plaisir. Grâce à une de tes Etincelles ma copine a retrouvé le sourire. C'est un peu grâce à moi aussi, j'espère !

_ Vraiment ? je m'étonne.

En réalité, je ne suis qu'à moitié surprise. Il est plutôt habituel que les âmes que je croise me remercie au moment du payement. En revanche jamais l'un de leur partenaire n'était venu me remercier en personne. Ça compte, je pense avec émotion. Ce n'est pas un simple moment éphémère partagé.

_ Comment elle s'appelle ? Je dois m'en souvenir.

_ Louise.

_ C'est une arnaque, intervient une voix.

Pardon ?

Mon regard contourne celui de Priyanka pour découvrir un homme grand, noir et plus désagréable par le comportement que par l'allure. Il semble plus proche de la trentaine que de la politesse, et son visage brut ne m'évoque aucun souvenir. Un inconnu qui se permet de juger mon travail. Priyanka sèmerait-elle derrière elle des ondes Wi-Fi menant des haters ici ?

Je regrette presque aussitôt cette pensée grinçante, lorsque je la vois se retourner brusquement, les bras croisés sur sa poitrine. Apparemment bien plus affectée que moi, elle menace l'individu avec son index. Ses ongles sont tellement longs et aiguisés que je me demande si une ambulance sera nécessaire.

_ Dites donc monsieur, vous allez lui apprendre son métier peut-être ?

_ Son métier qui consiste à prétexter sauver de pauvres âmes en perdition à travers des...bougies ?

_ Vous sous-entendez que ma petite amie est une menteuse, doublée d'une Drama Queen ? Qu'elle n'a pas été traumatisée par le rejet de ses parents suite à son coming out ? Que sa dépression était faussée dans le seul but de faire une belle publicité à cette boutique ?

Cette Louise. Son histoire m'avait arraché le cœur.

Silencieuse depuis quinze ans, Louise Peters avait décidé d'officialiser publiquement sa relation avec sa petite-amie, présentée jusqu'ici comme étant sa colocataire. Bien au-delà de son homosexualité, Louise avait eu le courage de comprendre qui elle est, ce que j'admire tout autant aujourd'hui. Elle avait eu la force d'affronter le regard méprisant de sa mère, la déception de son père, les insultes qui ont suivies et enfin le bruit sourd du coup de grâce.

J'avais été choquée par son récit, non pas surprise cependant. L'Amour continue d'être un problème pour ces vices personnages aux voix robotiques. Des individus qui se croient libres de penser mais qui, par leur manque d'argumentation, prouvent qu'ils ne s'appuient que sur un schéma lui-même infondé.

_ Vous êtes en train de faire passer ces conneries pour des antidépresseurs ? répond l'inconnu.

_ Non. Je dis juste que Pam a un don. De la magie jusqu'au plus profond de son cœur. Elle apporte de la Lumière dans les pensées les plus sombres et de la chaleur dans les cœurs les plus froids. Elle rappelle aux âmes solitaires qu'elle est là et qu'elle sera toujours là, à travers cette flamme. Vous devriez essayer.

Visiblement touché dans son ego, l'homme tourne les talents et quitte ma boutique, sans aucun mot.

Je retire tout ce que j'ai pu dire et penser de Priyanka.

Pour l'adolescente, je n'étais qu'une silhouette, qu'un prénom – pas le bon, certes –, qu'une tête parmi tant d'autres. Et aujourd'hui, cette femme me décrit en tant que tel, en tant qu'être à part. Par le biais de Louise, elle sait plus jamais qui je suis réellement, ce qui anime ma vie et n'hésite pas à affronter un homme de deux fois sa taille. Pour moi.

Pour ce tout petit sentiment qui nous lie.

L'Etincelle { Noël }Onde histórias criam vida. Descubra agora