6 Décembre

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L'inconnu ne s'est pas manifesté de la journée ; il est à présent venu l'heure de fermer boutique. Je ne suis pas étonnée, juste quelque peu déçue. Au-delà de sa nonchalance et de son imperturbable regard, je sais que se cache un certain mal être. C'est généralement ce qui nous pousse à malmener les autres sans aucune raison particulière.

Sans doute une façon de se rassurer, de se prouver que l'on garde le contrôle. Bien trop aveuglés par leurs larmes invisibles, ces gens oublient de voir l'essentiel : nous sommes tous sans contrôle. Certains ont simplement plus de sagesse pour l'accepter.

J'ouvre la porte pour laisser Laurent entrer, comme chaque soir. Il séjourne devant ma boutique tous les jours, et déjà bien avant que je ne vienne m'y installer. Naturellement, je lui propose mon hospitalité.

_ Tu sais que tu peux rentrer la journée, Laurent.

_ Mais tes clients n'oseraient plus franchir ta porte.

_ Je me fiche de ce genre de clients.

_ Et puis je dois aussi gagner ma vie, ironise-t-il en secouant ses récoltes de la journée.

Comme toujours, les gains ne sont pas bien importants. Quelques pièces innocentes et de vulgaires coupons dont la date a expiré. Ce gobelet n'est que le résultat de tout que je peux constater la journée. On le fuit, on le contourne, on le juge, on le prend en pitié ; on oublie que c'est un homme, un Homme. Alors que l'on n'imagine jamais pire condition, l'épidémie qui s'est propagée il y a presque deux ans ne l'a pas épargné. La distanciation sociale n'est jamais mieux respectée qu'avec ces hommes et ces femmes, leurs enfants et compagnons de vie.

Enfermés entre nos murs il y a encore quelques mois, nous applaudissions nos sauveurs, à raison bien évidemment, mais rien pour nos survivants de la rue. Nos survivants qui auraient rêvé d'un endroit où se confiner, bien au chaud. Nos voix se sont levés pour notre liberté, empêchée pour notre sécurité, mais nous soulèverons nous un jour pour la liberté et la sécurité de nos frères et nos sœurs ?

Bien heureusement, il arrive également que je perçoive des âmes généreuses qui s'arrêtent pour lui offrir de la chaleur au travers d'une discussion ou bien d'une boisson. Laurent reçoit également de la nourriture, des « pensées bienveillantes » comme il les appelle. Généralement il les place à côté de lui, salue son « tendre ami » et les regarde repartir. Rongé par la honte, il attend toujours d'être seul avant de se précipiter sur son en-cas. Ça n'a pas toujours été le cas, m'a-t-il une fois avoué.

« _ La faim ne devient plus de la faim, mais une douleur physique insupportable. Je me suis complètement laissé damner par mon instinct de survie en me précipitant sur ce petit pain. En me retrouvant dans le regard des passants, je me suis découvert animal, sauvage. Je ne suis déjà plus un homme pour la plupart d'entre eux, mais à cet instant je n'étais même plus un être vivant. Le suis-je vraiment d'ailleurs ? Je ne suis qu'un être survivant et n'est-ce pas le cas de ces monstres à la télé ? »

Je n'avais su quoi répondre sur le coup, bien que mon esprit fusait de mots rassurants. Qui serais-je pour décrire son quotidien que je ne vois qu'au travers d'une vitre ? Qui serais-je pour définir des sentiments que je ne perçois qu'au travers d'un regard éteint ?

Bien au-delà d'une boutique, L'Etincelle est un endroit de réconfort. Il était primordial pour moi d'y installer un endroit de recueil. Rien de bien important : une simple table basse face un canapé rouge au centre de tout cet amas de décorations. La véritable magie s'opère ici.

J'invite Laurent à venir s'asseoir à côté de moi.

_ Qu'est-ce que tu veux manger aujourd'hui ? je demande.

_ Tout ! répond-il dans un éclat de rire. J'ai choisi hier, c'est à ton tour.

_ Pizza, ça te va ?

_ Fran, j'ai fouillé les poubelles durant des années. Tout ce qui a plus qu'une simple croûte me va.

Laurent a un magnifique sourire. Loin d'être le plus blanchi, il est le plus sincère que j'ai rencontré. L'homme ne sourit que rarement, bien souvent de gêne ou de honte, timidement ou froidement. Avec le temps, j'ai appris à tous les différencier. Celui qu'il arbore en ce moment est de loin mon préféré.

Bien souvent, j'oublie qu'au-delà de sa fatigue cicatrisante Laurent n'a que trente-trois ans. Lors de notre première rencontre, je le pensais âgé d'une quarantaine d'années, et il m'arrive encore de penser à tort. Il n'en reste pas moins un bel homme, derrière toute cette souffrance.

Mon esprit aisé s'est bien sûr déjà offusqué devant son manque d'hygiène, devant sa négligence, la maigreur de son visage et le volume de sa chevelure. Avec le temps, je me suis vu lui offrir l'accès à mon espace de nettoyage. Loin d'être une luxurieuse salle de bain, il lui est simplement possible de se rafraîchir. Je lui ai également déjà proposé de lui couper les cheveux, mais il avait décliné avec humour : « Comment veux-tu qu'on me prenne au sérieux sinon ? ».

Si les gens s'attardaient un peu plus à le regarder, j'espère qu'il prendrait conscience de leur chance de croiser un tel regard. Un océan de connaissance, de sagesse et de bienveillance. Une vague d'espoir passant de temps en temps lorsque la tempête s'apaise.

Une fois les pizzas arrivées, je nous allume une bougie.

Bleue, enflammée par la vie. L'odeur de l'hiver vient bientôt nous envelopper, tandis que nous parlons de nos enfances respectives. Une cheminée ne pourrait jamais être aussi rassurante que cette lueur crépitante : l'Etincelle de Laurent.

 Une cheminée ne pourrait jamais être aussi rassurante que cette lueur crépitante : l'Etincelle de Laurent

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Bonjour / Bonsoir ! 

Comment allez-vous ?

J'espère sincèrement que ce chapitre vous a plus, étant donné que Laurent est tout simplement mon petit protégé. J'aime tous mes personnages évidemment, mais tout particulièrement cette complicité avec Fran. 

Nous devrions le retrouver la semaine prochaine, si tout se passe bien ! :)

En attendant, je vous souhaite une bonne lecture, ainsi qu'une agréable semaine. Je vais aller crier dans un mur, Wattpad n'étant toujours pas coopératif.

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L'Etincelle { Noël }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant