Chapitre 9

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Les minutes s'écoulèrent avec une impressionnante rapidité, et je me rendis réellement compte de mon état au moment où je tombai du muret, hilare. Je sentis très légèrement les graviers m'érafler la peau, mais mon fou rire était tel que je n'avais pas conscience de ma position, ni du fait que je devais me relever.

Et mon compagnon de beuverie n'était pas d'un grand secours : en me voyant tomber, il s'était mis à ricaner, oubliant totalement de m'aider.

-Tu n'aurais jamais dû me raconter ça, réussis-je à dire entre deux gloussements, en me tenant le ventre.

Et mon fou rire reprit. Certes, ce n'était pas très flatteur pour ma sœur, mais mon taux d'alcoolémie particulièrement élevé avait fait disparaître toute trace de culpabilité en mon for intérieur.

Il fallait dire que se retrouver coincée dans les toilettes de Jared pendant que ce dernier partait en voyage était particulièrement drôle, surtout en sachant que Grace ne lui avait ouvert que de nombreuses heures plus tard.

Lorsque je parvins à me calmer, je tentai de me relever ; mais ce fut un échec cuisant.

-Et surtout ne m'aide pas, lui lançai-je, l'amusement ayant laissé place à une certaine irritation.

Il posa le whisky sur le muret, se pencha, et sans que je m'y attende, m'attrapa fermement les deux mains.

Même avec plusieurs verres ingurgités, même en étant au sol, dans un état peu flatteur, je perçus l'électricité qui traversa mon corps au moment où il me toucha pour la première fois. Je n'avais aucun moyen de savoir si cela était réciproque, mais son rire s'arrêta, laissant place à un profond silence entre nous.

Il me tira avec vigueur, au point où je n'eus même pas à faire d'efforts. Ses mains étaient grandes et fermes, et elles englobaient totalement les miennes.

Lorsque je fus de nouveau assise sur le muret, il mit quelques secondes à les lâcher : et pendant ce court instant, il soutint mon regard de ses grands yeux verts, me laissant pantelante et abasourdie.

Je ne savais pas vraiment comment nous en étions arrivés là. Je me rappelais très clairement m'être assise à ses côtés, et je me rappelais également de la sensation que j'avais ressentie au moment où j'avais pris conscience de notre proximité.

Nous étions restés silencieux quelques instants, sirotant calmement le breuvage qui était censé nous donner du courage pour se rendre à l'intérieur, là où la fête battait toujours son plein. Mais nous n'y étions jamais allés.

Au fur et à mesure que nous buvions, nous avions commencé à parler d'Alex, évidemment, puisqu'il s'agissait du lien qui nous unissait. Curieuse, je lui avais demandé la raison qui l'avait poussé à l'embaucher, sachant qu'il la considérait comme une véritable « chieuse ».

Il m'avait vaguement expliqué, sans rentrer dans les détails, qu'il l'avait rencontrée à une fête, dans une discothèque branchée de la ville, et que même s'il ne l'aimait pas, il la trouvait compétente.

Comme il ne semblait pas vraiment apte à m'en dire davantage, je m'étais mise à lui raconter quelques souvenirs d'enfance, aidée par l'alcool qui m'avait rendue particulièrement bavarde.

Je lui avais parlé de nos disputes mémorables, comme celle où elle avait brûlé les cheveux de ma poupée parce que j'avais raconté à son copain qu'elle en voyait un autre - ce qui était d'ailleurs tout à fait vrai.

Plus nous parlions, plus nous buvions, plus je m'étais sentie à l'aise. D'ailleurs, cela avait été également son cas. Bien qu'il ne soit pas très bavard, il m'avait paru au fur et à mesure plus détendu, moins sur la réserve.

Et cela était d'autant plus étonnant que je n'avais pas prévu tout ce qui était en train de se passer ce soir ; je n'avais pas songé croiser Jared Evans, seul, et de discuter avec lui ; je n'avais pas prévu de boire, encore moins en sa compagnie ; et surtout, je n'aurais jamais pu imaginer me sentir si bien avec lui, au point d'en rire jusqu'aux larmes.

Mais maintenant, l'ambiance avait changé. Bien que je sentais l'alcool dans chaque parcelle de mon corps, je n'étais plus aussi à l'aise que tout à l'heure. Je voulais me convaincre qu'il s'agissait de la honte due à ma chute, mais c'était surtout le souvenir de ce contact, quelques minutes plus tôt, qui me troublait. Comment expliquer qu'il me fasse cet effet ?

Je lui jetai un regard en biais : il fixait sa bouteille dorénavant vide, posée au sol.

-Je crois que je vais rentrer à l'intérieur. Et je crois que tu devrais aussi.

Il avait prononcé ces mots d'une voix très basse, sans tourner la tête vers moi.

-Tu crois qu'on est en état ? Lui demandai-je, m'imaginant me casser la figure au milieu de ces invités plein aux as.

Je le vis sourire légèrement, avant qu'il ne plonge son regard dans le mien :

-Ne t'inquiète pas pour moi. Par contre, toi ça risque de poser problème. Tu ne dois pas boire souvent, et ça se voit.

-C'est le cas, avouai-je. Et tu as raison. Mais tu peux peut-être ... m'aider ?

Je pris conscience à cet instant que ma voix était pâteuse, et semblait provenir d'outre-tombe.

-T'aider à quoi ? Me répliqua-t-il, perplexe.

-Ben ... A ne pas avoir l'air d'une fille qui ne tient pas l'alcool, lui répondis-je, comme si c'était une évidence. Dans ton milieu, vous devez bien passer votre temps à boire et à faire illusion, non ?

Je ne savais pas vraiment s'il était vexé ou simplement étonné par ma remarque, mais je ne m'attardais pas plus sur l'expression de son visage.

Je me levai d'un bond du muret, un peu trop énergiquement d'ailleurs, puisque je sentis mon estomac se retourner. Je fermai les yeux quelques instants, et quand je les ouvris, j'essayai d'ignorer que je voyais maintenant le sol bouger :

-De quoi j'ai l'air ? Demandai-je, en adoptant une pose étrange.

Il fronça les sourcils, me détailla de la tête aux pieds, et contre tout attente, se mit à rire :

-D'une fille qui décidément, ne tient pas l'alcool.

Je lui jetai un regard mauvais, bien que ses paroles m'amusèrent. Il se leva, et encore une fois, je remarquai à quel point il était grand, et à quel point il me dominait de toute sa hauteur.

Il s'approcha, ses yeux braqués sur mon visage, avant de me dire :

-Il faut que j'y aille.

J'acquiesçai, tout en me concentrant pour ne pas vaciller, aussi bien à cause de l'alcool que de sa présence.

-Je vais rentrer le premier. Tout le monde en aura rien à faire si c'est toi qui arrive à la bourre.

Sa remarque me vexa instantanément, mais lorsqu'il me fit de nouveau un léger sourire, je compris qu'il ne faisait que me charrier.

-A plus.

Il tourna rapidement les talons, et alors que je le regardai s'éloigner, je lui lançai d'une voix forte :

-A bientôt, j'espère.

J'eus presque envie de me donner des claques, tant cette requête était similaire à celle d'une fille désespérée.

Il s'arrêta, se retourna, bien que je ne distinguais plus vraiment son visage :

-Plus tôt que tu ne le crois.

Et sans un mot de plus, il disparut dans la pénombre, les mains dans les poches.


De toi à moi (with love) - [Sous contrat Black Ink Editions]On viuen les histories. Descobreix ara