Chapitre 12

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Evidement, je n'étais jamais rentrée dans une limousine. L'occasion m'avait été donnée d'en voir circuler dans les rues de Paris, mais ma réaction lorsque je pénétrai à l'intérieur de ce véhicule ostentatoire devait clairement montrer mon ignorance en la matière : bien que le plafond soit particulièrement bas, l'espace était assez vaste pour accueillir quasiment une dizaine de personnes.
La lumière tamisée mettait en valeur les fauteuils en cuir beige : à vrai dire, en temps normal, j'aurais souri en pensant au ridicule de ce moyen de locomotion, qui n'existait que dans le seul but d'en mettre plein les yeux. J'aurais même levé les yeux au ciel devant tant de frime si Jared Evans n'était pas installé nonchalamment sur une des banquettes, les deux jambes étendues, en me scrutant si intensément.
Je décidai de m'asseoir en face de lui, afin de pouvoir l'observer tout en gardant une certaine distance de sécurité ; il valait sûrement mieux, autant me montrer un peu responsable après avoir pris cette décision qui, quant à elle, ne l'était absolument pas.
Lorsque son chauffeur ferma la porte, je sentis une vague d'angoisse s'emparer de moi. Je ne maîtrisais absolument pas la tournure des événements.
– Tu as réussi à te débarrasser de ta sœur ?
Depuis que je m'étais installée, il n'avait pas bougé, et son regard était toujours posé sur moi. Je ne l'avais jamais trouvé aussi beau : ses cheveux châtains désordonnés lui donnait une allure désinvolte, et il avait enlevé sa veste de costume. Il ne portait plus que sa chemise blanche, qui laissait entrevoir son torse sculpté. Ses manches étaient remontées, et je découvrais ses avant-bras à la peau légèrement hâlée.
– On peut dire ça, lui répondis-je d'une voix timide.
Il fallait que je me reprenne : j'avais pris la décision de le suivre, et si c'était pour me comporter comme une gamine intimidée et ennuyeuse, autant partir tout de suite. Ce qui n'était pas vraiment envisageable, surtout en sentant la limouse démarrer.
– Tu lui as dit que tu étais avec moi ?
– Non.
Je n'avais pas l'intention de lui mentir.
– Pourquoi ? Insista-t-il, tout en continuant de me fixer, immobile.
– Parce qu'elle m'aurait dit de ne pas te rejoindre, et je n'avais pas envie de me disputer avec elle.
– Et tu es quand même venue ?
Je me sentais défaillir sous l'intensité de ses prunelles.

–Je suis adulte et je prends mes propres décisions. Alors oui, je suis venue.
Jared se releva brusquement de son siège et ouvrit une sorte de frigo qui se trouvait à ses côtés. Il en sortit une bouteille et deux verres, puis commença à servir.
– A ton avis, pourquoi n'aurait-elle pas voulu que tu viennes avec moi ?
– Peut-être parce qu'elle n'aurait pas raffolé que sa sœur monte dans la limousine d'un acteur frimeur et alcoolisé, pendant qu'elle passe la nuit à atténuer ses dégâts.
J'avais parlé très naturellement, et je me rendis compte du paradoxe dans lequel je me trouvais lorsque j'étais avec lui : tout en étant intimidée par sa présence, je me sentais capable, plus que jamais, de dire tout ce que j'avais envie.
– Alors comme ça, tu penses que je suis un frimeur ?
Il m'observait en levant un sourcil, tout en me tendant un verre, que j'attrapai.
– Tu m'invites dans ta limousine alors que tu me connais à peine, n'est-ce pas là une manière de m'impressionner ?
– Je n'ai pas besoin de ça pour impressionner qui que ce soit, mon nom suffit, me répondit-il sèchement. Je suis Jared Evans, non ?
– Donc je confirme ma première hypothèse, tu es un frimeur, lui répliquai-je spontanément.
Il sembla un instant stupéfait, avant de se mettre à ricaner ; étrangement, il ne l'avait pas mal pris. Peut-être qu'il n'était pas si distant qu'il en avait l'air, ou peut-être qu'il n'avait pas l'habitude que quelqu'un lui parle de cette manière, ce qui l'amusait.
Il s'affala à nouveau sur le fauteuil de sa limousine, avant de porter son propre whisky à ses lèvres, et d'en boire une gorgée. Aussi étrange que soit notre tête à tête, il n'y avait aucun autre endroit, à cet instant, où j'aimerais me trouver.

– Pourquoi m'as-tu demandé de te rejoindre ? Lui demandai-je subitement.
Je ne cherchais pas seulement à faire la discussion ; en réalité, cette question demeurait pour l'instant sans réponse, et je voulais véritablement savoir ce qui l'intéressait chez moi et surtout, ce qu'il comptait faire.
Il prit un air grave, comme s'il cherchait à formuler ce qu'il avait à l'esprit, avant de plonger ses yeux dans les miens :
– Tu dis tout ce qu'il te passe par la tête, tu es toi-même, et surtout, tu n'as pas cet air ahuri qu'ont les gens en me matant. C'est la première fois que je vois ça.
Je ne savais pas s'il faisait allusion à ses fans au comportement disproportionné, ou à son milieu artistique, qui le conduisait sûrement à être entouré de personnes hypocrites et un peu trop bienveillantes. Dans tous les cas, j'étais plutôt satisfaite que mon intimidation face à lui ne se remarque pas.
D'ailleurs, en y réfléchissant bien, cette même intimidation n'était pas du tout due à son statut d'acteur, puisque je ne m'intéressais pas vraiment à sa carrière, mais bien à ce que j'éprouvais en l'observant, en le sentant près de moi. Cela devait être totalement différent des groupies qui lui couraient sans aucun doute après.
Un léger sourire se dessina finalement sur son visage :
– Et puis, comme je t'ai dit tout à l'heure, j'aime ta robe et la façon que tu as de la porter.
Je n'étais pas vraiment flattée par ses propos, que je trouvais légèrement déplacés, et encore moins par son regard qui me balayait de haut en bas : cela me mettait mal à l'aise.
Je haussai mollement les épaules, ne sachant pas quoi lui répondre.
– C'est la vérité, non ?
– Oui, c'est la vérité, dis-je d'une voix monotone, en levant les yeux au ciel. Avec cette robe, je suis la fille la plus sexy du pays.

– Je n'irais pas jusque là.
Il s'esclaffa ; malgré moi, je lui jetai un regard mauvais.
Soudain, il se pencha pour se rapprocher de moi, tout en fixant mon poignée :
– C'est quoi cette merde que tu tripotes tout le temps ?
Tout en me posant cette question, il regardait mon bracelet que j'étais, effectivement, en train de toucher nerveusement, comme j'en avais l'habitude.
– Rien du tout, tu devrais ...
Je dus m'interrompre lorsqu'il m'attrapa énergiquement l'avant bras : et encore une fois, je ressentis cette sorte d'électricité qui m'avait déjà frappée lors de notre précédent contact. J'en eus le souffle coupé, et je remarquai à peine qu'il venait de m'enlever mon bracelet.
Lorsque je vis dans sa main ce bijou qui me tenait tant à cœur, je posai mon verre sur une petite tablette à côté de moi et fit un mouvement vers lui pour le reprendre ; évidement, cet idiot le tint en l'air tout en l'éloignant de moi.
– Rends-le moi ! M'exclamai-je, irritée.
– Pourquoi ? En tout cas, c'est immonde ce truc.
Je savais au fond de moi que ça l'était, que ces breloques multicolores n'étaient pas ce qu'il y avait de plus raffiné, mais j'étais surtout énervée de ne plus l'avoir au poignet.
– J'y tiens, c'est tout, alors donne-le moi !
Tout en me regardant, avec un sourire particulièrement agaçant aux lèvres, il le mit dans sa poche. Devant mon air atterré, il me dit d'une voix basse :
– Ne t'inquiète pas, je vais te le rendre. Je le garde juste sur moi pour l'instant. Tu as l'air d'y tenir, alors je suis sûre que tu ne m'échapperas pas ce soir.
– Je ne suis pas ta proie, lui répondis-je d'un ton provocateur, même si ses propos me déstabilisèrent.
Pour toute réponse, il rigola.
Tu ne m'échapperas pas .... Encore une fois, je percevais un double sens qui ne me laissait pas indifférente. En réalité, je dus presque me forcer à m'extirper ses mots de la tête pour ne pas me laisser troubler.
– Et d'abord, on va où ?
Je commençai sérieusement à m'inquiéter de la tournure des événements : ou plutôt, je m'inquiétais de ce que j'étais capable de faire ce soir.
– Dans un coin paumé et flippant.
Je sus instantanément qu'il n'était pas sérieux, et sans savoir pourquoi, les sentiments confus que je ressentais à ce moment là, c'est à dire ce mélange d'agacement et d'attirance, s'éloignèrent pour laisser place à de l'amusement.
– Pour me découper en morceaux ?
– Entre autre. Tu n'imagines pas à quel point il est facile d'être tueur en série lorsqu'on est célèbre. Aucune trace, aucun soupçon. En plus, je te rappelle que personne ne sait que tu es avec moi.
Je souris brièvement avant de récupérer mon verre, et de boire une gorgée.
– Sérieusement, on va où Jared ?
Je réussis tant bien que mal à articuler cette question, l'alcool me brûlant la gorge ; et surtout, le fait de prononcer son prénom me fit un effet indescriptible.
– Sérieusement, on va à une vraie fête, Charlie.
Je me figeai, interloquée :
– A une fête ?
– Relax, j'ai l'habitude d'y aller et il n'y aura aucun journaliste pour nous emmerder.
En vérité, mon étonnement était surtout dû au fait que je ne m'attendais pas à ce genre de destination, plutôt qu'à la peur d'être photographiée. Cela me soulageait un peu, me retrouver en tête à tête chez lui ou dans un lieu un peu trop intime m'aurait mise encore plus mal à l'aise.
– Au fait, tu ne me demandes pas pourquoi j'ai accepté de te suivre ? Le questionnai-je soudain, rompant le silence qui venait de s'installer entre nous.
– Pas la peine, c'est évident. Je suis Jared Evans, non ?
Je restai perplexe quelques instants, essayant de savoir s'il plaisantait ou non. Il se contenta de me faire un clin d'œil avec son petit sourire agaçant, mais terriblement craquant, que je commençais à connaître.
– Frimeur !
Quand il rigola, je ne pus m'empêcher de l'imiter. Je n'avais aucune idée de ce qui m'attendait ce soir, mais tout au fond de moi, je ne regrettais pas de l'avoir suivi.

De toi à moi (with love) - [Sous contrat Black Ink Editions]Where stories live. Discover now