Chapitre 4

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Vendredi 21 Novembre 2014 - 8h17.
Hôpital de Beacon Hills.


Il les entendait depuis un certain temps, déjà. Mais les notions de temps et d'espace étaient abstraits. Il n'arrivait pas toujours à savoir s'il était vraiment là, ou autre part. Tout lui semblait d'une difficulté effrayante. Le simple fait de garder les yeux ouverts lui demandait une quantité d'énergie considérable. Mais leurs voix lui étaient familières et le rassuraient. Parfois, lorsqu'il ouvrait les yeux, il n'y avait personne et la solitude l'effrayait.

- Arrête de toucher à ça. Si tu le fais tomber, il se lèvera exprès pour t'étrangler.
- Ben c'est peut-être justement une bonne idée, alors.

Isaac reposa sur la table une énorme maquette d'un faucon millenium en lego. Scott et lui étaient venus ensemble, ce matin. Leur vie se rythmait autour de Stiles depuis des semaines, si bien que les heures n'étaient plus que des synonymes du prénom de leur ami. A huit heures, Scott allait le voir. Lydia prenait son tour à seize heures, juste en sortant des cours. Habituellement, Isaac passait plus tard dans la soirée. Parfois ils venaient à deux, mais les rituels instaurés nécessitaient que les heures soient associés à une personne particulière, alors leurs tours de visites étaient réglés comme du papier à musique.

- Eh, salut vieux.

Isaac se tourna aussitôt vers Scott qui observait Stiles avec un air enchanté. Leur ami avait ouvert les yeux et les observait, silencieux. Isaac détestait l'hôpital. Il n'aimait pas l'odeur d'antiseptique et le son des machines qui résonnaient dans toutes les chambres occupées. Il détestait l'ambiance pesante qui régnait dans les couloirs, alors que les malades se plaignaient de diverses douleurs et que les internes se gavaient de cafés pour se maintenir éveillés.
Il s'approcha un peu du lit pour voir à son tour les yeux de Stiles. Cela faisait une éternité qu'il ne les avait pas vus et il se surprit à penser qu'ils avaient une couleur incroyable. Peut-être était-ce juste lié au fait qu'ils lui manquaient.

- T'es sûr qu'il nous entend ?
- Bien sûr qu'il nous entend. Hein, Stiles ?

Stiles posa ses yeux sur ce visage-ami qu'il appréciait et dont la voix le rassurait. Les timbres étaient réconfortants, dans cet endroit sans sol ni plafond. Il aimait les entendre.

- Peut-être qu'on fait trop de bruit.
- Il n'a pas notre ouïe, et puis si on n'en faisait pas, il n'aurait pas de raison de revenir, tu ne crois pas ?

Isaac haussa les épaules. Il n'avait aucune idée de ce qu'ils étaient sensés attendre de Stiles. Il n'aimait pas parler aux médecins et se retenait de poser des questions à la meute, pour ne pas s'imposer. Il se contentait des informations qui lui venaient naturellement lors des conversations qu'ils avaient, que ce soit ici-même ou en dehors de l'hôpital.
Parce que toute leur vie tournait quasiment autour de Stiles depuis qu'il avait eu son accident. C'en était presque fatiguant, physiquement en tout cas. Ils s'éreintaient à trouver des solutions pour ramener leur ami, tout en sachant qu'ils ne pouvaient rien faire contre les accidents comme celui qu'il avait subi. Si au moins il avait eu à faire à une créature surnaturelle, ils auraient peut-être pu trouver un moyen de le sortir de là bien plus tôt. Mais dans le cas présent, il n'y avait que le temps pour leur apporter satisfaction.

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Vendredi 21 Novembre 2014 - 23h46.
Hôpital de Beacon Hills.


La nuit était le moment le plus difficile, pour Stiles. La solitude le rongeait et les bruits réguliers le réveillait alors qu'il n'y avait personne à regarder, personne à écouter. Il savait bien qu'il manquait quelque chose à sa vie. Qu'il n'était pas sensé être ainsi, perdu dans un monde pourtant si petit. Il sentait qu'il était loin d'être en forme mais il n'arrivait pas à mettre le doigt sur l'origine du problème.
Les voix qu'il avait l'habitude d'entendre lui demandaient régulièrement de bouger ses doigts, de faire des grimaces ou d'essayer de parler. Les termes lui étaient familiers mais joindre l'acte à la demande était d'une difficulté certaine. Parfois, il y arrivait. Il parvenait à ouvrir les yeux lorsqu'on lui demandait. D'autres fois, il restait longtemps à regarder ces visages qu'il connaissait, et ceux qu'il avait appris à connaître à force de les voir autour de lui.
Il était dans un monde minuscule, mais c'était un monde qu'il connaissait et qui le rassurait. Parce qu'il avait la désagréable impression qu'autre chose l'attendait, au-delà de cet univers confortable. Et il avait peur. Effroyablement peur de ce qui l'attendait.
Il descendit ses yeux sur la maquette qui trônait sur une table. Il connaissait cet énorme objet rond et blanc. Il le connaissait mais il y avait quelque chose de différent. Dans sa tête, il le visualisait très bien sur ... qu'est-ce que c'était, déjà ? Le même genre d'endroit, oui, mais différent.
Sa main s'agrippa au drap. Il aurait aimé bouger davantage. Il avait vraiment envie de sortir de ce monde cotonneux qui l'enfermait. Pourtant, rapidement, ses paupières le trahirent et se firent plus lourdes. Le sommeil l'attaquait de front, comme toujours. C'était comme si son corps refusait d'obéir. Comme si chaque geste nécessitait une telle quantité d'énergie qu'il ne pouvait pas aller au bout. Et il était frustré de cette situation. Non, définitivement, il n'avait rien à faire ici mais quelque chose refusait qu'il s'en aille. Alors, comme toujours et malgré lui, il succomba rapidement à la fatigue qui l'agressait. Il ferma les yeux et même s'il s'efforça de se concentrer le plus longtemps possible sur ces visages, ces voix, ces sons qui habitaient son quotidien, il perdit le combat petit à petit, sans vraiment se rendre compte qu'il sombrait dans les limbes de son propre sommeil.
Il rêva, cette nuit-là. Pour la première fois, son cerveau dessina des scènes dans sa tête. Il vit Scott, ses cheveux en bataille et son sourire de travers. Il entendit le rire de Lydia qui ne le voyait pas, alors que lui la regardait depuis tellement d'années. Il vit son père, aussi. Inquiet et fatigué, mais toujours présent pour lui. Et sa mère, aimante, attentionnée, câline. Il aima les voir et les entendre, parce qu'il savait qu'il les aimait profondément.

[Sterek] Un monde de brumeWhere stories live. Discover now