Chapitre 5

831 77 1
                                    

Jeudi 27 Novembre 2014 - 11h47.
Hôpital de Beacon Hills.


Ses journées étaient devenues plus longues et plus fatigantes. Maintenant qu'il gagnait pratiquement tous ses combats contre le sommeil, les visages qui l'entouraient étaient devenus plus exigeants. Il devait parler, dire ce qu'il voyait, entendait, voulait. Mais c'était d'un compliqué ! Certains objets lui étaient familiers, il les reconnaissait. Pourtant les mots refusaient de faire la route entre son cerveau et sa bouche.

- S... Sc...

Il le connaissait. Il avait bien conscience que ce n'était pas lui, qu'il n'était pas là pour parler et bouger. Mais l'image carrée qu'on lui tendait ne le trompait pas pour autant. C'était l'un de ces visages qu'il aimait voir, l'une de ces voix qu'il aimait entendre. Pourtant, le mot était difficile à extraire de sa propre trachée.
Il fronça les sourcils et détourna les yeux. Il en avait mare. Ca faisait une éternité qu'elle était là, à lui montrer des choses et lui demander ce qu'elles étaient, alors qu'il accumulait les échecs.

- C'est bien, Stiles. C'est Scott. Tu l'as reconnu, je suis très fière de toi. Il est venu ce matin, est-ce que tu te souviens ?

Il hocha la tête, parce qu'il se souvenait. Scott était venu et lui avait parlé. Et Stiles aimait quand Scott lui parlait. Peu importe que la plupart des choses qu'il disait n'avait pas grand sens à l'esprit de l'adolescent : il aimait simplement sa voix.
Elle aussi, il la connaissait. Elle faisait partie de ces visages-amis qui rythmaient son petit monde et il aimait aussi sa voix. Il n'avait pas envie qu'elle parte, parce qu'elle était la dernière avant longtemps. Il ne savait pas comment, mais il savait qu'elle était la dernière.

- Bien. Est-ce que tu as faim ?

Ca aussi, il connaissait : la faim. Elle le tiraillait, ces derniers jours. C'était presque toujours elle qui subvenait à ce besoin impérieux qui dérangeait son corps. Elle semblait y prendre plaisir, parce qu'elle arrivait toujours avec le sourire et elle était toujours patiente avec lui, même lorsqu'il refusait d'avaler ce qu'elle lui proposait.

- Est-ce que tu veux essayer de tenir la cuillère ?

Il hocha la tête tandis qu'elle déposait un plateau devant ses yeux. Il était assis depuis un moment, parce qu'elle relevait toujours son lit pour le faire travailler sur les visages plats-carrés qu'elle lui montrait. Il déglutit et se concentra. Cette mission-là était parmi les plus difficiles qu'il avait. Prendre cet objet dans sa main s'avérait autrement plus compliqué que reconnaître les visages-amis.
Il leva la main et fut surpris, comme toujours, de constater qu'elle lui obéissait. Elle s'éleva jusqu'au plateau et se posa délicatement dessus. Il tendit les doigts vers la cuillère qu'il était supposé prendre et se sentit épuisé à la seule idée d'arriver à la toucher. Ca faisait une éternité qu'il essayait de l'attraper, et il n'y arrivait jamais. Lorsqu'il était parvenu à la toucher, elle s'était échappé dès lors qu'il l'avait remplie de nourriture. Pourtant, lorsque Melissa la prenait, ça semblait d'une facilité enfantine. Il détestait cette sensation d'impuissance qui l'habitait en permanence.

- C'est très bien, continue. Emmène-la jusqu'à l'assiette ... Bien, très bien, Stiles. Concentre-toi. Rappelle-toi que son poids change, maintenant. Oui ... Comme ça ...

Elle arrivait jusqu'à lui. Il ne l'avait jamais emmenée si haut et son regard s'écarquilla de stupeur lorsque l'objet entra enfin dans sa bouche. Il en oublia un instant de la refermer et c'est dans un rire léger que Melissa lui rappela de le faire. Bon sang, il avait réussi ! La nourriture avait une saveur toute particulière, aujourd'hui.

- Bravo, Stiles ! Tu peux être fier de toi.

Il l'observait attentivement tout en dégustant cette toute première bouchée si durement acquise. Oui, il était fier de lui. Parce qu'il avançait, il gagnait des compétences et même si ça semblait tellement simple pour Melissa, pour lui c'était des pas de géant. Il se laissa aller contre son oreiller, prenant le temps de savourer cette victoire. La cuillère était retournée dans l'assiette, guidée par sa main visiblement bien docile aujourd'hui. Il hésita plusieurs secondes avant de réessayer. Il n'était pas sûr d'arriver à réitérer cet exploit, vu le temps qu'il avait mis à y arriver.

- Vas-y, Stiles. Je suis avec toi, si tu as besoin d'aide.

Il la reconnaissait bien là, toujours présente, et patiente peu importe les épreuves à traverser. Il n'était pas seul dans ce cauchemar, les visages-amis veillaient sur lui en permanence. Il esquissa une grimace de concentration et demanda silencieusement à sa main de coopérer encore.

Melissa l'observait, admirative. C'était fascinant de le voir évoluer jour après jour. Et si elle n'avait pas eu Scott qui l'attendait à la maison après le travail, elle n'aurait eu aucune hésitation à ne plus avoir de vie privée durant la convalescence de Stiles. Il avait une telle détermination à s'en sortir que c'en était inspirant. Ce gamin n'avait pas eu une vie facile. A dix-neuf ans il avait déjà perdu l'un de ses parents, avait dû faire face à l'existence effrayante du surnaturel sans s'être jamais démonté, et maintenant le voilà qui devait se relever après de longs mois de coma. Pourtant, à aucun moment Stiles ne montrait le moindre signe d'abattement. Il s'agaçait parfois de ses progrès trop lents et de ses difficultés qu'il peinait à surmonter, mais il ne se laissait jamais impressionner et se relevait à chaque fois pour un nouvel essai. Elle ne doutait pas qu'il serait sur pieds en un rien de temps, même si elle était obligée de freiner les espoirs de la meute de Beacon Hills quand elle les entendait faire des projets avec Stiles. Il était encore loin du jour où il pourrait quitter l'hôpital, même s'il prouvait chaque jour sa force de caractère et son désir de progresser.
Il laissa retomber sa main sur son ventre, visiblement épuisé par l'effort. Melissa attrapa la cuillère dans sa main et la déposa sur le plateau avant d'essuyer machinalement la bouche de Stiles tout en le couvant du regard. Il était toujours rattrapé par la fatigue, éreinté par l'énergie qu'il devait déployer pour manger. Mais elle avait rarement été aussi fière d'un patient.

- Je vais te laisser te reposer, maintenant. On se voit tout à l'heure, d'accord ? Et puis, Lydia passera après les cours, comme d'habitude.

Il acquiesça en silence, puis son regard tomba vers la pile de photos que l'infirmière avait déposée sur le côté de son lit pour lui permettre de manger. Il agita sa main jusqu'à elle, déplia ses doigts pour étaler les photos et s'arrêta lorsqu'il trouva le visage qu'il cherchait. Melissa pencha la tête pour mieux voir et sortit la photo de la pile, un grand sourire aux lèvres.

- L... ydia.

Elle écarquilla les yeux sans se départir de ce sourire qui étirait son visage d'un bout à l'autre. Puis elle approcha la photo de la main de Stiles et l'incita à resserrer ses doigts dessus, encourageante.

- Oui, Lydia. Elle viendra te voir après les cours. Repose-toi, maintenant.

Sur ses mots, elle posa sa main sur le front de Stiles en une caresse maternelle tout en remettant son matelas en position allongée. Et alors que l'adolescent papillonnait des yeux, elle quitta la pièce, le coeur rempli de soulagement. Il se remettrait.

[Sterek] Un monde de brumeWhere stories live. Discover now