Chapitre 8 - La proposition // 1

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Avec le mois de mars, le froid mordant de l'hiver avait laissé place à un temps plus doux et les premiers bourgeons commençaient à apparaitre. Le bouquet d'Eric avait trôné fièrement dans le bureau des infirmières jusqu'à devenir tout flétri. Clarisse, qui se maquillait très peu d'ordinaire, arborait dorénavant un rouge à lèvres rouge vif tous les jours. La nouvelle avait dû se répandre, car toutes les infirmières encore célibataires dans le service étaient en émoi à chaque fois qu'Eric venait rendre visite à sa tante, ce qui arrivait tous les soirs ou presque. 

De mon côté, j'avais décidé de mettre un peu de distance entre nous. David m'avait déjà passé un sacré savon à propos de ma bêtise avec Mme Fournier. Il ne manquerait plus qu'une histoire avec un patient ou un membre de sa famille pour mettre le feu aux poudres et exacerber sa colère. Aussi, dès que l'heure des visites commençait, je me barricadais soigneusement dans mon bureau pour éviter de croiser cet homme si attirant.

Dans le service, les choses allaient de mieux en mieux pour mes patients, ce qui suffisait à me ravir. Émilie, ma jeune anorexique, réussissait à manger des aliments de plus en plus diversifiés. La perspective d'intégrer prochainement une structure de soins spécialisée dans l'anorexie mentale la réjouissait. Elle savait que pour y être acceptée, elle ne devait plus avoir de sonde naso-gastrique, ce qui la motivait pour manger le contenu de ses plateaux.

Avec une bonne anxiolyse et un traitement thymorégulateur adapté au trouble bipolaire, Mme Fournier commençait à peine à redescendre de sa phase maniaque. Mais elle dormait encore très mal et continuait de tourmenter les infirmières pendant la nuit. 

Quant à Mme Beauchamp, son traitement antidépresseur commençait enfin à vraiment agir et les idées délirantes avaient progressivement régressé. La vieille dame passait de plus en plus de temps au fauteuil et avait même découvert une émission de cuisine intéressante à la télévision. Le moral restait bas, mais j'étais confiante pour la suite et lui avais donné le matin même l'autorisation de s'habiller, jugeant le risque de passage à l'acte suicidaire définitivement écarté. 

Cette après-midi-là, je décide de m'atteler à mes comptes-rendus d'hospitalisation en retard. David ne s'est pas montré de la journée et Paul n'est pas dans le bureau. Je profite du calme et jete un coup d'œil à l'horloge : 17h15. L'heure des visites a commencé et je ne préfère donc pas m'aventurer dehors. J'en suis à la moitié de mon compte-rendu quand mon co-interne entre avec fracas dans la pièce, Marc, l'externe, sur les talons.

— Sophia, on a vu... on a vu...

Paul est à bout de souffle et se laisse tomber théâtralement sur sa chaise. J'interroge Marc du regard. Il prend courageusement le relai.

— Ton patient, Monsieur Picot !

— Monsieur Pinot, précisé-je.

— Oui, reprend Marc. On l'a vu en bas alors qu'on prenait un café !

— Un café ?

J'arque un sourcil, perplexe. Comme ça, Paul, qui se plaignait hier encore d'avoir quitté le service à 20h à cause de ses comptes-rendus en retard, trouve le temps d'aller prendre un café au milieu de l'après-midi avec les externes ?

— Oui ! renchérit mon co-interne en ignorant totalement mon regard interrogateur. Il était en bas, il a réussi à gratter un joint à un patient d'un autre service !

— Merde !

Je me lève d'un bond et quitte le bureau en trombe. J'avais déjà remarqué que ce patient se tenait étrangement à carreau ces derniers temps. J'aurais dû me douter qu'il mijotait quelque chose. Furieuse, je dévale les marches du bâtiment à toute allure. Arrivée devant le pavillon, je remarque tout de suite Eric, en train de faire quelques pas au soleil, avec sa tante Agatha. Ils ne sont pas seuls, puisque Clarisse les accompagne.

À toi, corps et âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant