Chapitre 32 - Un peu, beaucoup, passionnément... // 2

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Je pousse un hurlement qui déchire le silence de la nuit. J'ouvre ma portière avec force, m'extirpe de la voiture tandis qu'une peur viscérale me serre les entrailles. Mes jambes s'emmêlent et je trébuche en sortant du véhicule. La portière arrière s'ouvre derrière moi. Mon cœur bondit dans ma cage thoracique. Je m'élance en direction de la maison. Mes oreilles bourdonnent, mais je ne peux ignorer un second bruit de pas dans les graviers à mes trousses. J'atteins à peine le perron qu'un coup violent à l'arrière de la tête me fait chuter en avant. Je tombe à quatre pattes dans l'entrée, sonnée. Ma vision se brouille. Une douleur lancinante pulse dans mes tempes, mais l'adrénaline qui coule dans mes veines m'anesthésie à moitié. Je me retourne, toujours au sol, et découvre un visage émacié à quelques centimètres du mien.

— Surprise...

J'étouffe un cri. Le ton affable de mon interlocutrice me glace. Mon sang ne fait qu'un tour. Je ne reconnais pas immédiatement la femme penchée sur moi, son sourire dément déformant ses traits. Je la dévisage, sans pouvoir parler. Ses cheveux cendrés sont abimés, hirsutes, avec la consistance de la paille. Son haleine dégage une odeur d'alcool, son visage est creusé et ses cernes, marqués.

— Carole... murmuré-je, effarée.

Je reconnais à peine la réceptionniste d'Eric. Une femme que je n'ai vue qu'une ou deux fois, avant qu'elle ne quitte son poste.

— Lève-toi, ordonne-t-elle froidement.

Je l'entends à peine. Je suis tétanisée par la peur. Des taches sombres apparaissent par flash devant mes yeux, me donnant l'impression que je vais m'évanouir à tout instant. Carole ne le remarque pas. Elle s'est détachée de moi pour claquer la porte d'entrée. Quand elle fait volte-face, je m'aperçois qu'elle tient dans sa main un couteau. Un couteau de cuisine, énorme et affuté. La lumière se reflète sur l'acier de la lame et je ne peux le quitter des yeux. Mon cœur s'affole. Je dois me concentrer de toutes mes forces pour ne pas perdre connaissance.

— LÈVE-TOI ! hurle-t-elle, hystérique.

Je parviens à m'exécuter en titubant et recule vers l'escalier alors qu'elle s'approche de moi. Sa voix me parvient plus nettement et j'arrive à retrouver une vision claire. Malgré son aspect négligé et la haine qui brûle dans ses yeux, elle parait lucide et déterminée.

— Monte à l'étage, lâche-t-elle, glaçante.

Ma salive reste coincée dans ma gorge. Mon regard passe du visage déformé de Carole au couteau qu'elle pointe dans ma direction. Je n'ai pas envie de lui tourner le dos mais comme elle s'approche, je n'ai pas le temps d'opposer une résistance et me résous à obéir. Je monte les marches à la hâte. Son pas lourd retentit derrière moi. Mon cœur cogne contre ma poitrine à m'en faire mal. Arrivées dans le couloir, elle me pousse dans la chambre et claque la porte derrière nous.

— Carole, tenté-je en me retournant.

Mon cerveau fonctionne au ralenti, comme embrumé. La peur me paralyse mais mon instinct de survie est plus fort. Je lève les mains et me recule au maximum dans la pièce. Carole reste près de la porte, sans lâcher son couteau. Une lueur de folie traverse ses prunelles. Toujours sans parvenir à bouger, je lutte pour ne pas me laisser submerger par la panique.

— Mes amis vont arriver, bredouillé-je d'une voix aussi calme que possible.

Un sourire tordu déforme son visage et lui donne l'air encore plus folle.

— Je ne crois pas, non...

Elle avance dans ma direction. Je recule, mais mon dos cogne contre l'encadrement de la fenêtre. Mes jambes tremblent tellement que je peine à rester debout.

— Pourquoi vous faites ça ? prononcé-je en m'accrochant au rebord.

— N'est-ce pas évident ?

Elle me fixe sans cesser de sourire. Dans un long va-et-vient, elle caresse le bord non tranchant du couteau de son index. Visiblement, elle prend plaisir à m'effrayer. J'essaie d'ignorer ma peur et de me concentrer sur ses paroles. Je n'ai pas besoin de beaucoup réfléchir, cela dit. Je ne me rappelle que trop bien pourquoi Carole a quitté son poste.

— C'est pour Eric, c'est ça ?

Son sourire s'élargit et elle s'immobilise à quelques centimètres de moi.

— Si seulement tu ne lui avais pas fait un enfant dans le dos... minaude-t-elle.

Soudain, son regard se durcit et s'emplit de rage. Sans crier gare, elle m'empoigne par les cheveux et me traine en arrière. Je gémis et dois me pencher pour suivre le mouvement de son bras. Je perds le couteau des yeux et la panique m'envahit à nouveau. Carole ne me ménage pas et je ne cherche pas à lui résister. Elle me traine à travers la pièce et je la suis en ignorant la douleur. Elle relâche enfin son étreinte et me jette contre le mur de la salle de bain attenante à notre chambre. Je me réceptionne sur l'épaule et me redresse en essayant de reprendre mon souffle.

— Ouvre l'eau, aboie-t-elle en désignant la baignoire.

J'hésite, mais comme elle tient toujours son arme, me dirige d'un pas lent vers la baignoire et actionne le robinet. Un jet d'eau chaude commence à couler en produisant des nuages de vapeur. Quand je relève les yeux, Carole me sonde à l'autre bout de la pièce. Je prends une grande inspiration. C'est la première fois qu'elle se tient aussi loin de moi, et cela permet à mon cerveau de fonctionner à nouveau. Malgré ma peur, je suis mue par un instinct de survie qui me guide. Comme Carole ne dit rien, je profite d'un élan de courage pour essayer d'engager un dialogue avec elle.

— Comment savez-vous que je suis enceinte ?

Elle me dévisage sans bouger, en penchant légèrement la tête sur le côté, mais ne répond pas. Les secondes passent. Lentement. Malgré l'horreur de la situation, je ne peux empêcher mon cerveau de fonctionner à toute vitesse. Soudain, j'ai une sorte de déclic.

— Vous nous avez espionnés...

Les mots sont sortis tous seuls de ma bouche alors que je comprends à peine ce que cela implique. J'aimerais m'être trompée, mais le sourire de Carole se fait plus franc.

— C'était facile, dit-elle dans un rire aigu, totalement inadapté.

Je déglutis avec peine. Ma bouche s'est asséchée d'un coup. J'ai peur de comprendre la suite, mais comme Carole reste à distance, je peux à nouveau réfléchir. Je repense à toutes ces choses étranges qui me sont arrivées depuis plusieurs semaines. Ces choses que j'ai mises sur le dos de malchances, de coïncidences ou de prophéties divines...

— C'était vous, le corbeau, articulé-je péniblement.

Elle sourit à nouveau sans se décaler de la porte.

— C'était un message trop subtil pour toi, répond-elle dans un rictus.

Elle me fixe et je sens mon corps s'engourdir. Une vague de nausée me provoque un haut-le-cœur. Les pièces du puzzle s'imbriquent les unes dans les autres plus vites que je ne le voudrais.

— L'huile sur la chaussée... murmuré-je.

— Dommage que ça n'ait pas marché, soupire-t-elle.

Les battements de mon cœur redoublent d'intensité. Je comprends, tout à coup, que Carole est déterminée à me faire du mal. Cette pensée me glace. Je prends conscience qu'elle ne renoncera pas, que nous sommes seules au milieu de rien, que je n'ai aucun moyen de quitter cette pièce et de m'en sortir. 

À toi, corps et âmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant