Chapitre 20 - Prémices de changement // 1

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Mes talons claquent sur le sol du hall d'entrée du bâtiment. L'hôpital psychiatrique dans lequel je commence est immense et pavillonnaire. Les bâtiments qui abritent les différentes unités sont anciens et charmants. Les extérieurs sont bien entretenus, avec les jolies allées jonchées d'arbres et de parterres de fleurs. Je viens à peine de quitter Paul, qui fait également son premier jour dans une unité proche de la mienne. 

Le revoir m'a permis de lui raconter comment Eric et moi nous sommes réconciliés et comment, une fois de plus, mon travail vient poser problème entre nous. Mon co-interne a balayé mes doutes d'un revers de la main et comme d'habitude, m'a encouragé à foncer tête baissée. En réalité, je pense qu'il est surtout heureux que je ne sois plus la loque que j'ai pu être quelques semaines plus tôt. Je sais que Francesca et Louise seront ravies d'apprendre la nouvelle également et je songe à les tenir informées par message, car elles sont à l'étranger ce semestre.

Je passe les portes battantes au-dessus desquelles est indiqué « unité 2 ». Je tombe, presque aussitôt, sur une très belle femme brune en blouse blanche.

— Tu dois être Sophia, s'exclame-t-elle en m'apercevant. Je suis le Docteur Mercier, la cheffe de service. Mais tu peux m'appeler Lucie.

Je serre la main qu'elle me tend en souriant. Ma nouvelle cheffe est vraiment charismatique, avec ses cheveux d'un noir de jais attachés en queue de cheval haute et ses beaux yeux noirs en amande. Elle n'est pas très grande mais dégage une autorité et un charisme naturel. Je remarque aussi qu'elle est jeune, à peine plus d'une trentaine d'années, et qu'elle dirige déjà un service, ce que je trouve plutôt impressionnant.

Toute la matinée, je laisse Lucie me faire visiter l'unité, me confier l'énorme trousseau de clés qui déverrouille toutes les portes et me parler de mes futures missions. Comme la chefferie occupe une bonne partie de son temps, elle me précise qu'elle sera parfois peu présente et que je pourrais être amenée à gérer seule une quinzaine de patients. Même s'il s'agit, pour la plupart, de patients psychiatriques assez lourds, l'ampleur de la tâche ne m'inquiète pas. Lucie sait que je suis une interne bientôt diplômée et qu'en cela, j'apprécie un peu d'autonomie. Qui plus est, je suis flattée qu'elle me confie son service sans crainte. Bien que je la connaisse peu, à la fin de la matinée, je suis persuadée que nous allons très bien nous entendre.

Au self, je retrouve Paul qui se lamente déjà en me racontant son arrivée à l'unité 4. Sa cheffe, une cinquantenaire un peu excentrique, semble l'avoir abreuvé d'informations et laissé en plan avec les patients. Mon co-interne est moins expérimenté que moi et se trouve un peu paniqué par la situation. Je lui propose de l'aider s'il en a besoin et à la fin du déjeuner, il parait un peu plus rassuré.

Je passe l'après-midi à découvrir les patients de mon service. Le premier dossier que je regarde est celui de M. Morel, un patient schizophrène décompensé, délirant sur une thématique mystique. Persuadé d'être un messie, il a menacé de fuguer la nuit dernière et occupe maintenant notre chambre d'isolement. Alors que je suis encore en train d'éplucher son dossier, je reçois un message d'Eric.

« Comment se passe ton premier jour ? »

Je souris en tapant ma réponse.

« Très bien, merci. Tous mes patients sont gentils, polis et tout à fait inoffensifs. »

Sa réponse ne tarde pas à venir.

« Je me rends compte que j'ai été un peu excessif ce week-end. Je veux que tu puisses me parler de ton travail. Je pense à toi, bon courage pour ta journée. »

Je remets mon téléphone dans la poche de ma blouse, pensive. Ma semaine de rêve avec Eric s'est terminée sur une dispute, et cela n'a pas cessé de me travailler depuis mon retour dans mon petit appartement. Le côté protecteur d'Eric envers moi est ce qui m'a séduit en tout premier lieu. Mais à présent, je me demande si cela ne risque pas de m'étouffer, à la longue. Pourra-t-il un jour accepter totalement que je travaille dans cet environnement si particulier, dans lequel tout peut arriver ? Je repense à cette clé qu'il m'a donnée, à sa proposition de vivre ensemble... Était-il vraiment sérieux ? Ou était-ce juste un moyen de me garder à l'abri, dans une belle cage dorée ?

À toi, corps et âmeWhere stories live. Discover now