CHAPITRE 2 (partie 1)

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CHAPITRE 2

La fête

   J’avais l’impression que mon cerveau essayait de sortir de mes oreilles. Ma migraine atroce avait une cause bien définie : les cris et les babillements de la maison familiale. Assise dans un coin du salon, j’observais ma mère donner des ordres. Elle demandait à mon père d’aller récupérer les plats laissés dans la cuisine, puis elle envoyait mes sœurs chercher les sacs à l’étage. Ma cousine Ella courrait comme une furie, poursuivie par mon oncle qui essayait de la calmer. Grossière erreur : dès qu’on la touchait, son agitation faisait trembler les cadres et vases à proximité. C’était le désavantage d’avoir un pouvoir de famille lié à la télékinésie. Ma tante repassait derrière pour immobiliser les décorations qui risquaient de tomber.

— Doucement ! criait-elle à la tornade.

    La petite Ella s'en souciait autant que de la première chaussette qu'elle avait fait léviter. Mon oncle devint très pâle quand sa fille entreprit d'escalader le canapé pour atteindre le sommet de la commode. J'attrapai Ella d'un geste joueur et elle se tordit de rire entre mes bras.

    J'aurais préféré rester avec eux à la maison plutôt que de sortir pour cette fête. Ma cousine s'échappa de mon emprise et ses parents étaient repartis pour un tour.

   Le salon baignait dans la lumière dorée du soleil de soirée. La pièce était immense, capable de contenir notre grande famille au complet. De multiples fauteuils et canapés avaient été installés pour pouvoir tous nous placer. Une cheminée, abandonnée à cette période de l’année, trônait dans un coin de la pièce, composée de briques écarlates et décorée de tableaux de paysages. J’appréciais cet endroit chaleureux mais l’excitation constante y régnant me donnait le tournis. Les pleurs, les rires, les ordres et les disputes se mêlaient toujours les uns aux autres dans un mélange vivant mais confus.

   Seul mon petit frère Félix restait assis à côté de moi en silence. Ses cheveux noirs laissés longs tombaient devant ses yeux. Il me donnait un coup de coude pour me proposer de fuir en courant. Je soupirai, lui disant que l’idée me séduisait mais que c’était impossible. Il me restait une promesse à honorer.

   Ma mère m’avait forcée à enfiler une robe verte évasée sur le bas. Certes, elle avait bon goût, mais je me sentais mal à l’aise… comme si je prétendais être une autre personne que la vraie Rebecca. Malgré mon sentiment, je m’étais tue quand ma mère avait peigné et décoré mes cheveux avec des perles. J’avais même réussi à ne pas être trop offusquée quand ma tante avait proposé de couvrir mes cicatrices avec du maquillage. Ma mère, heureusement, avait refusé. Je sortais de ma zone de confort, quoiqu’on en dise.

   Un coup d’œil vers l’horloge accrochée au mur m’indiqua qu’il était déjà dix-neuf heures, presque le moment de quitter la maison pour rejoindre la place. Mes mains devenaient moites rien qu’en y pensant. Ma mère s’arrêta enfin en croisant les bras et pour la première fois depuis le début des préparations, son expression se fit satisfaite.

— Parfait.

   Elle frappa dans ses mains pour attirer l’attention générale et se dirigea vers la porte. Le cortège de notre famille suivit ses pas le long des larges rues du village, jusqu’à arriver sur la place métamorphosée pour l’occasion. Des tables avaient été installées sur le côté, collées toutes ensembles pour former un même banquet. De nombreuses familles venaient y déposer des assiettes, des bouteilles ou des paniers débordant de fruits gorgés de couleurs vives. Des banderoles rouges pendaient entre les lampadaires. Ma mère partit discuter avec deux voisines qui s’occupaient de prévoir le repas et chacun l’interpréta comme un signal : mes sœurs partirent chercher leurs amies, mes oncles s'en allèrent réserver des sièges et Félix atttapa Ella pour la distraire.

Le toucher du Temps | TOME 1 : les secrets de l'horlogerWhere stories live. Discover now