Le toucher du Temps | TOME 1 : les secrets de l'horloger

CHAPITRE 2 (partie 2)

Plusieurs regards convergèrent vers moi et personne ne renchérit. Après de longues minutes de silence, leur discussion reprit. Cette fois, je ne disais pas un mot.

Étant située au bout, place peu populaire, j'avais eu la chance d'avoir un siège vide en face de moi. Ma mère demandait à ce qu'on me fasse goûter des fruits et des viennoiseries, je remerciais tout le monde même si je n'avais pas demandé quoi que ce soit. Essayait-elle de me convaincre grâce à mon estomac ? Bien essayé, je devais l'admettre.

Ma famille, unifiant son pouvoir pour l'amplifier, faisait tourner les paniers et les plats dans les airs pour que chacun puisse y piocher. J'y contribuais aussi et cette fois peut-être plus efficacement que par le passé. L'entraînement de monsieur Belmonde portait ses fruits... littéralement. Le maire, lui, utilisait son contrôle de la glace pour rafraîchir les boissons laissées sur la table trop longtemps. Les discussions de politesse commençaient. Évidemment, c'était ma mère qui essayait de m'inclure. Ses interlocuteurs semblaient alors gênés, me posaient quelques questions de courtoisie avant de se détourner. Dans un village comme le nôtre, les rumeurs et préjugés s'installaient vite. J'en étais la preuve. Je continuais à répondre pour faire plaisir à ma mère. Son regard appréciateur me donnait l'impression de faire quelque chose de bien.

— Pourquoi est-ce qu'il y a une chaise vide ? J'avais prévu le nombre exact ! s'étonna une voisine.

— Peut-être que tu avais compté l'horloger ?

— Je ne l'ai pas inclus, il ne vient jamais manger avec nous.

Je comprenais pourquoi. Il devait être traité de la même manière lui aussi. Monsieur Belmonde ne venait pas du village à l'origine, sans parler du fait qu'il était un excentrique. Le mélange parfait pour se démarquer, ici.

— C'est juste un retard, expliqua Hazel en pointant la chaise vide du doigt.

Dès que j'entendis sa voix, je me détournai de la conversation. Les souvenirs douloureux restaient marquants. Je comptais bien faire des efforts, mais petit à petit. Celui d'affronter Hazel me paraissait bien trop immense.

Une des demoiselles du village entreprenait de mener son spectacle de feu, virevoltant au milieu des flammes qu'elle maniait à sa guise. La fille du maire. La magie suivait une génétique étrange pour que ces deux-là aient des pouvoirs si opposés mais similaires en même temps. Dans ma famille, nous avions un pouvoir dominant qui coulait presque toujours dans les gènes de la descendance. Il n'y avait plus vraiment d'étonnement quand on découvrait le pouvoir des enfants. Mon père contrôlait la lumière mais personne n'avait hérité de sa magie. Il ne s'en souciait pas trop, la télékinésie était bien trop pratique.

Le repas toucha à sa fin alors que je laissais mes pensées virevolter à leur guise, passant de la fête au retard que je prenais sur mon travail. Les personnes à table se levaient une à une pour danser ou pour jouer. Je restais avachie à ma place, la tête entre les bras.

— Notre accord ne tient pas si tu restes isolée de cette manière.

Ma mère était encore assise à sa place et dardait sur moi un regard mi-excédé, mi-inquiet. Une multitude d'émotions semblaient la traverser quand elle me voyait aussi mal à l'aise.

— S'il-te-plaît, essaie.

Je me relevais avec une lenteur interminable avant de me diriger vers les autres. La musique et les rires se mêlaient pour créer ces douces ambiances de soirées d'été. Perdue au milieu des danseurs, je balbutiai des excuses pour me faufiler. Avant que je réussisse à atteindre mes sœurs, une personne me héla :

— Rebecca !

Encore Hazel. Elle espérait définitivement quelque chose. Prétendant ne pas entendre son appel, je m'éloignai dans cette foule étourdissante. J'arrivais près de mes sœurs quand un bras se glissa sur le mien. Lili, la plus jeune de ma fratrie, venait de s'accrocher à moi. Ses cheveux noirs voletèrent derrière elle alors qu'elle commençait à me faire tourner dans une danse effrénée, avant même que je puisse ouvrir la bouche.