I. La Taverne

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    Chers voyageurs, bonsoir. Prenez donc un tabouret ! Installez-vous confortablement, buvez, mangez à votre guise, et laissez-moi vous conter les fabuleuses histoires de La Taverne...
    Il s'agissait d'un lieu merveilleux, tout de bois et de pierre fait. L'atmosphère était sombre mais rassurante. Les flammes des bougies et de la cheminée éclairaient sommairement l'auberge qui semblait vivante tant les rires et les sourires des clients l'en emplissaient. Oui, La Taverne était un lieu chaleureux prisé par moult voyageurs et habitants locaux. Ces derniers savaient d'ailleurs que derrière sa porte les attendaient toujours, hormis une oreille attentive et un sourire, de quoi boire et manger en quantité. Ah, La Taverne ! Et comment pourrais-je vous raconter son histoire sans vous parler de ses propriétaires ? Je me souviens d'eux comme au premier jour...

- Et deux eaux de pourse, deux !
    Solveig arrivait d'un pas rapide à la table de Patalo et Picolo, deux jumeaux et clients réguliers qui se révélaient être des poètes dans l'âme lorsque l'alcool coulait dans leurs veines. Ancienne pirate qui avait le rôle de cuisinière et d'infirmière à bord de feu son navire, la jeune femme était désormais épanouie en tant que serveuse dans ce lieu où elle se sentait comme chez elle. Cette nouvelle vie s'apparentait à un repos bien mérité après toutes ces années passées en mer.
- Merci bien, ma belle ! s'exclama un des deux frères. Tiens, prends donc.
    Le jeune homme plongea sa main dans sa poche et en sortit une petite pièce d'or qu'il tendit discrètement à la rouquine, ce qui lui décrocha un sourire. Solveig était en effet très appréciée des habitués : toujours dynamique, souriante et réconfortante, elle était en partie responsable de la bonne humeur qui se dégageait ici. Sa bonté naturelle était d'ailleurs d'égale à son physique : madame Vesta – car ainsi était son nom de jeune fille – arborait une silhouette grande et élancée mise en valeur par son corset en cuir qu'elle ne quittait jamais : il lui maintenait le dos et la poitrine droits. Son apparence solaire, elle, était rehaussée par sa longue chevelure rousse coiffée en dreadlocks.

- IL EST BON, MON RIZ ?
    Une voix stridente perça dans toute la pièce : il ne s'agissait sans aucun doute d'Illée. Jeune gobeline chétive toujours coiffée d'un vieux chapeau de paille, elle prenait sa fonction de cuisinière très à cœur, car plus qu'un travail, la préparation du riz était une vocation pour elle. Les habitués le savaient d'ailleurs très bien : La Taverne avait pour réputation de préparer le meilleur riz de la région, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Tout en distribuant ses bols bien garnis à chaque table, elle s'affairait à demander, cachée derrière ses grandes lunettes rondes : « Il est bon, mon riz ? ». Tout un chacun lui répondait toujours positivement, non seulement car son riz était en effet exquis, mais aussi car Illée était connue pour avoir le sang chaud derrière son air inoffensif. Lorsqu'une personne avait le malheur de ne pas l'écouter – car il est vrai que sa voix aiguë avait parfois du mal à se faire une place dans le brouhaha ambiant -, elle pouvait se montrer impulsive et lui lancer des grains blancs à la figure en vociférant.

    Ce genre de désagréments amusait beaucoup Lara qui se trouvait souvent être derrière le comptoir, à la plonge. Contrairement à ce que certains auraient pu croire, elle appréciait cette activité, car cela lui permettait de discuter avec les différents visiteurs de l'auberge. Les histoires de chacun étaient toujours trépidantes, enrichissantes, surprenantes... Les écouter était reposant et amusant, et il s'agissait là de tout ce qu'elle recherchait, car ayant passé les huit dernières années de sa vie à explorer tout le pays à pieds, elle souhaitait désormais un peu de tranquillité. Lara était fière de son passé d'aventurière. Allant de montagnes en montagnes, de plaines en plaines, de villes en villes, de côtes en côtes en passant par des mers tumultueuses, elle disait avoir vu toute la beauté du monde. Toutes ces années d'exploration avaient laissé quelques cicatrices sur son corps, dont une grande sur son beau visage qu'elle aimait montrer à qui voulait écouter ses péripéties. Il n'était pas rare de l'entendre marmonner à un client, un sourire au coin des lèvres : « Tu vois cette cicatrice ? Je vais te raconter comment ça m'est arrivé... ». Tout le monde aimait l'écouter comme elle écoutait les autres, bien que souvent l'on pensait qu'elle exagérait un peu ses histoires.

- OH ! TU RESPECTES PAS LE RIZ !
    La voix d'Illée retentit à nouveau. Elle écarquillait de grands yeux devant un bol de riz renversé qui gisait au sol. Cette maladresse n'était sans aucun doute l'œuvre de Sam, la mascotte de La Taverne. Sam était une chatte siamoise angora au caractère plutôt hautain. De prime abord, elle paraissait soyeuse et tranquille, mais il suffisait de la fréquenter pour comprendre qu'il n'en était rien. Elle n'hésitait pas à lancer la patte à quiconque la caressait lorsqu'elle n'en avait pas envie. Pour autant, cela ne décourageait pas les clients tant son poil était doux. La queue relevée et la tête droite, elle se détourna nonchalamment du bol de riz, se frottant aux jambes qu'elle rencontrait sur son chemin.

- AH ! Ouste, tu sais bien que je suis allergique à toi !
    Une voix rauque se fit entendre non loin du comptoir. Il s'agissait de Rolland, la deuxième mascotte de l'auberge, qui venait de chasser Sam du bout de son pied dans un grommellement étouffé dans sa longue barbe grisâtre. Il était impossible de ne pas le remarquer lorsque l'on entrait dans la pièce : assis sur son tabouret bancal, dans un coin non loin du comptoir, le vieil homme frêle jouait inlassablement de son luth auquel il manquait deux paires de cordes. La plupart de la clientèle trouvait qu'il jouait mal, mais personne ne se risquait à lui en toucher un mot tant il semblait convaincu par son talent. Désormais barde, Rolland était en réalité un ancien baladin. Après avoir vogué de ville en ville, de taverne en taverne, ce lieu chaleureux fut pour lui une oasis dans laquelle il s'était établi avec, certes, un peu d'insistance. Malgré son caractère rustre et son attitude de goujat, il apportait une ambiance familiale et détendue à La Taverne. Comme le disait si bien Illée : « Son talent est de mettre les gens à l'aise tout en les mettant mal à l'aise »

« Dans la taverne...au cœur de la forêt... »
    Sous la mélodie cacophonique de Rolland, une jeune elfe assise à une table tentait de se concentrer. Il s'agissait de Leïo, la patronne. Bien que ce fut elle qui soit à l'origine de ce lieu, elle considérait qu'il appartenait de façon égale aux filles qui le faisaient vivre : elle, Solveig, Illée et Lara. Au fil des jours s'était créée entre elles une cohésion, puis une amitié, et enfin une famille. Rolland était arrivé quelques années plus tard de façon inopinée, et de part sa personnalité singulière, il avait apporté une petite touche de folie à tout ce petit monde. Leïo repensait à tout cela assise à sa table, entrain d'esquisser au charbon, sur un papier usé, le portrait d'un client. Ses longs cheveux noirs tombaient le long de son buste et venaient se fondre dans le dessin.

    Ah... Ainsi était La Taverne, et l'émotion me prend en vous contant tout cela. Mais n'ayez crainte ! L'histoire n'est pas finie ; bien au contraire elle ne fait que de commencer ! Alors si cette mise en bouche vous a plu, je vous invite à vous installer plus confortablement encore et à m'écouter vous raconter toutes les fabuleuses histoires de La Taverne...

A SUIVRE...

La TaverneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant