VIII. Rolland

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« Dans la taveeerne...au cœur de la... »
- Roh, et puis merde...
    Rolland venait de pousser un soupir bruyant en jetant son luth dans le coin de la pièce.
- Roro qui s'arrête de chanter en plein milieu d'une phrase ? C'est qu'il y a un gros problème, là ! ironisa Illée.
    Mais le vieux barde ne releva pas.
- Roro ? Ça va pas ? IL ÉTAIT PAS BON, MON RIZ ?
- Illée, tout ne tourne pas autour de ton riz ! rigola Solveig.
- Par contre, il a vraiment pas l'air d'aller bien notre pépé, renchérit Leïo.
    Le vieil homme ramassa son luth et commença à jouer aléatoirement avec les cordes, comme pour fuir la conversation.
- Mais allez, parle-nous ! s'impatienta Lara. On ne t'a jamais vu comme ça !
    On ne le connaît pas si bien, dans le fond, repensa Solveig.
- Mh, rien... baragouina-t-il dans sa barbe.
- Quoi ? J'ai rien compris ! cria Illée.
    Rolland soupira.
- Quelqu'un me manque, c'est tout.
    Les filles échangèrent toutes un regard stupéfait.
- Comment ça ? l'interrogeât Solveig.
- C'est long à expliquer, et puis ça remonte à longtemps maintenant... Ce n'est plus de mon âge tout ça.
    Leïo se dégagea du comptoir et s'approcha du vieillard.
- Écoute, tu nous en as trop dit pour faire machine arrière, maintenant !
    La jeune elfe s'accroupit devant le barde qui demeurait assis sur son tabouret.
- Raconte-nous, qu'est-ce qui ne va pas ?
- Tu peux tout nous dire tu sais, on est un peu comme ta famille maintenant ! sourit Solveig.
    Rolland leva des yeux mouillés vers la rouquine.
- Je... C'est vrai ?
    Dans un reniflement bruyant, il essuya son nez du revers de sa manche et ferma les yeux.
- Quand j'étais plus jeune...

    J'ai connu mon heure de gloire. Il y a de cela plus de quarante ans maintenant, je suis parti de la maison avec pour seuls bagages mon luth, un tabouret, un tapis et un chapeau. N'étant guère bon à l'école, j'ai décidé d'arrêter mes maigres études pour me consacrer à ma passion : la musique. Je n'avais pas pour objectif d'être le meilleur luthiste du pays, simplement de rendre les gens heureux avec mes mélodies. Ça rime, en plus.
    Je voguais de ville en ville, d'auberge en auberge. Je n'avais pas beaucoup d'argent, c'est vrai, mais cela m'importait peu. Je grattais les cordes de mon luth tout au long de la journée, rien ne comptait plus au monde pour moi.
    Jusqu'à ce jour.
    Ce jour où ma vie a pris un tout autre sens.
    J'avais vingt-huit ans et je venais tout juste d'atterrir dans une petite ville de montagne : Gelataïo. Mon luth à la main, j'entrai dans la seule taverne qui s'offrait à moi et je fus frappé par la foudre.
    Non, pas par un vrai éclair, Illée, c'est une métaphore...
    Je suis tombé amoureux. Instantanément. Je me souviens de cette scène comme si c'était hier...
    Elle se tenait au milieu de la pièce, sur une petite estrade. Je n'avais jamais entendu une voix comme la sienne : chaque note qui sortait de sa bouche venait me frapper en plein cœur. Si elle avait cessé de chanter, je crois bien que j'aurais cessé d'exister.
    Je l'ai écoutée sans bouger, planté-là, à l'entrée de l'auberge.
- Tout va bien ? m'a-t-elle demandé à la fin de sa prestation.
    Je n'ai jamais autant rougi de ma vie. Il s'agissait de la première fois qu'une femme me remarquait. Pourquoi n'étais-je pas invisible à ses yeux ?
- Vous chantez bien, lui ai-je simplement répondu.
    Mais ma réponse lui a suffi, je crois. Je me souviendrai toujours du sourire qu'elle m'a adressé ; c'est à ce moment-là que j'ai réellement remarqué sa beauté. C'était une elfe blonde à la peau claire et aux yeux bleus. Elle était vêtue d'une grande robe blanche qui rehaussait son air naturellement angélique.
- Vous jouez du luth ?
- Oui, un peu.
- Vous n'êtes pas très bavard.
- Désolé, je... Je ne vais pas prendre votre place dans cette taverne, je jouerai ailleurs.
- Joignez-vous plutôt à moi !

La TaverneWhere stories live. Discover now