Chapitre 7

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n mois plus tard, on rendit les romans notés aux étudiants de la classe A. Le professeur déclara qu'à l'issus de ce la note, un des jeunes écrivains descendrait en B. Lucien savait que ce serait lui. Il avait fait une multitude de fautes qu'il avait eues, pressé par le temps, la paresse de corriger. Le premier roman fut tendu à un certain Gabriel Fougères, qui avait eu un 17. La deuxième note fut attribuée à Marion, qui obtint 19. Et ce fut le tour de Lucien... Il ferma ses yeux et récita un rapide Notre Père le temps que le professeur arrive devant lui.

« Bravo, Lucien ! Chapeau ! dit celui-ci. »

C'était ironique, Lucien le savait bien. Il ne regarda pas tout de suite la couverture marquée par la note qui sauterait à ses yeux comme un obus gorgé de sang. Il vit simplement que sa note contenait un zéro. Mais c'était le zéro du vingt. Il avait envie de sauter, de crier, d'hurler sa joie dans tout Paris, mais se contenta simplement de sourire, par élégance intellectuelle.


Il avait trop souffert jusqu'à ce jour, beaucoup trop, et il savait qu'il garderait des séquelles de cette lutte acharné vers la gloire littéraire, même lorsqu'il, dans le futur, obtiendrait le succès. C'était un martyr, un martyr de l'amour, qui lui tombait toujours dessus au pire moment. Il n'avait plus les moyens de le combattre, plus la force. C'était comme une maladie qui ne lui créait que des défauts : la jalousie, l'insistance... Il savait donc que s'il restait amoureux de Marion, et elle de Martin (ou même de quelqu'un d'autre, c'était la même chose), il serait déjà mort avant même de lui avoir avoué ses sentiments, car il voulait en finir avec sa vie, mettre fin à ses jours, malgré quelques hésitations persistantes. Il se souvenait, quand il était encore enfant, que son père l'avait amené au parc un soir de janvier. Or, ce jour-là, la police était sur place et conversait très intensément avec un clochard.

« Allons, monsieur, entendait-on, la vie vaut la peine d'être vécue ! »

Cette phrase, lorsqu'elle vint à son oreille, lui rappela une chanson de Gainsbourg.
« La javanaise ! pensa-t-il. »

Mais lorsqu'ils aperçurent le SDF, ils comprirent qu'il souhaitait se suicider (il avait un couteau en main et s'entaillait le bras) tandis que les flics essayaient de l'en dissuader. Ce lointain souvenir éveilla en lui une rage et une fureur de vivre incontrôlables. Et il se souvint de la suite : le clochard s'était mis à courir vers l'un des policiers. Son collègue, inquiété par ce mouvement brusque, ouvrit le feu. Aussitôt, un panache de sang s'éleva dans les airs, et puis plus rien. Le petit Lucien avait été si traumatisé par cette scène dramatique qu'il n'avait pas dormi de la nuit. Au matin, une phrase qui pourrait être un proverbe lui vint à l'esprit : « Vivre est une chance, mais vivre heureux, c'est un luxe », et il s'était mis à pleurer.

Lucien, après ces cinq minutes de réflexions, avait les larmes aux yeux, mais personne ne s'en apercevait. Tous les étudiants étaient absorbés par le cours sur le zeugma du professeur. Lucien était comme coupé du monde par ce qui l'en rapprochait. Ses sanglots s'intensifiaient lorsque, soudain, on toqua à la porte de la salle. Le professeur alla ouvrir. Une jolie jeune femme entra. Elle avait les yeux bleus et une courte chevelure rousse. Lucien espérait terriblement qu'il tombe amoureux d'elle, mais non, ce ne fut pas le cas. Elle était belle, certes, mais, comme on dit souvent, le critère le plus fiable n'est sans aucun doute la beauté. Et, de toute façon, il éprouvait déjà un amour fou pour quelqu'un d'autre...

La jeune étudiante se présenta :

« Bonjour, je m'appelle Angélique. J'ai été sélectionnée pour monter en classe A, afin de remplacer Baptiste (elle hésita sur le nom) Pigotili qui est descendu en B. »

- Entre, je t'en prie, dit chaleureusement le professeur.

Elle s'assit à côté de Martin, juste derrière Lucien. Et, à sa grande surprise, ils discutèrent durant tout le cours. C'était officiel : ils étaient amis. Il aurait espéré qu'ils éprouvent des sentiments plus profonds l'un pour l'autre, mais c'était ainsi.

Cette rencontre avait fait retrouver un peu d'espoir à Lucien. Parfois, il observait chez Marion un rictus discret lorsque Martin s'en allait parler avec Angélique qui signalait de la jalousie. Il souriait alors et pensait intérieurement : « Je la comprends. La jalousie, je la connais bien ». Et il en profitait parfois pour aller parler avec elle du cours qu'il n'avait pas compris. Leur discussion était en fait plutôt courte, car Marion ne cherchait pas à l'alimenter. Elle était tout le temps déconcentrée par les rigolades de Martin et Angélique dans son dos. Cela l'énervait et la blessait de les voir s'amuser pendant qu'elle devait subir l'ennui de la conversation ; mais elle était assez délicate pour ne pas le dire à Lucien. Car, malgré l'amour infini qu'elle éprouvait pour Martin, elle avait une légère affection pour Lucien. Si on le lui avait posé la question, elle aurait répondu qu'elle le considérait comme un camarade appréciable, voire même un ami.


Figure de style qui consiste à associer un verbe à deux éléments disparates, qui ne vont pas ensemble, afin de créer un effet poétique, comique ou de surprise. Par exemple : « Je prends un thé, un bain, et mon mal en patience » ou bien « Je m'assieds sur cette chaise et sur ma dignité ». 

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