Cette histoire est la nôtre - 1

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De nobis fabula narratur



Aussitôt nos pieds posés sur terre que les religieuses nous encerclaient déjà. Certaines de nous vomissaient alors que d'autres s'étaient assises près de la rive au cas où elles en auraient besoin. Lorsque nous entendîmes les coups de canons, les cloches de l'église et les acclamations, nous nous levâmes et nous nous penchâmes en remerciements. Nous étions toutes surprises et sous le choc de cet accueil chaleureux. Autour de nous, le nombre de curieux se comptait par centaines. Parmi eux, il y avait autant de jeunes que de plus âgés. Certains étaient probablement des veufs qui voulaient réclamer une de nos mains. Les religieuses nous prirent en charge et nous dirigèrent vers un grand bâtiment.

Lors de la traversée, j'eus la chance de faire la rencontre de femmes comme Pauline Lemieux, une orpheline de père qui faisait le voyage pour avoir une meilleure vie. C'était notre objectif. C'était mon objectif. Nous souhaitions une vie plus belle et grâce à la dot du roi Louis XIV, c'était possible. Nous entrâmes dans cet édifice. L'extérieur était sombre et mal entretenu, mais l'intérieur était blanc et éclairé. Des religieuses vêtues de noir et de blanc passaient dans les couloirs et parlaient entre elles. Celles qui nous accompagnaient nous montrèrent le chemin jusqu'au dortoir que je partageai avec les autres filles du Roy. Les lits étaient beaucoup plus confortables que ceux auxquels nous nous étions habitués pendant quelques mois, mais nous pouvions remarquer que les matelas avaient déjà été utilisés auparavant, car ils étaient sales. Sur le bateau, nous dormions majoritairement sur le sol. Il y avait peu de hamacs. Nous vivions dans des conditions insalubres.

Je m'installai et m'allongeai tout en repensant aux pires moments de la traversée qui allaient malheureusement me hanter jusqu'à la fin de mes jours. Je n'arrivai pas à m'enlever ces images de la tête. À la Rochelle, j'avais fait la connaissance d'Alice, une jeune orpheline de 14 ans. Elle me faisait penser à moi. Dès le début de la traversée, je sentais qu'elle avait peur et qu'elle était malade. J'essayai du mieux que je pus de la rassurer mais c'était dur pour nous toutes. La viande séchée lui donna des nausées, alors ses repas n'étaient constitués que de biscuits de mer et de fromage. Durant notre troisième semaine en mer, son état se dégrada. Elle devint squelettique, et n'eut plus aucune force. Six jours plus tard, un matin, en essayant de la réveiller, je compris pourquoi son corps était glacé. Alice était décédée pendant la nuit. Son corps fut enveloppé dans une toile et à peine le soleil levé, je vis son corps se faire éjecter comme un boulet de canon. Lors des éloges funèbres que fit le capitaine, des larmes coulèrent de mes yeux. Cet enfant ne possédait rien et en quatre semaines, elle était morte. Dans le lit, une larme glissa sur ma joue.

Le lendemain matin à la première lueur du soleil, les religieuses nous emmenèrent vers des canots. Encore un moyen de transport sur l'eau, ils voulaient nous rendre malade ou je ne m'appelai plus Marie Chevalier ! Nous naviguâmes sur les eaux de la Nouvelle-France pendant des kilomètres. Alors que plusieurs canots continuaient leur route, certains s'arrêtèrent à Trois-Rivières. Après une bonne heure, nous accostâmes et une femme nommée Marguerite Bourgeoys nous accueillit. Toute la ville se trouvait au port pour à notre arrivée. J'entendis les acclamations autour de moi. Marguerite nous amena dans un édifice nommé Maison Saint-Gabriel. La toiture en forme de triangle était bleutée et les murs étaient en pierre beige et brune. À Ville-Marie, Marguerite s'occupa de nous expliquer notre devoir en tant que fille du Roy. Elle nous parla des éléments à prendre en considération pour choisir notre futur époux, un homme costaud avec un métier autre que villageois, un Français possédant des terres ou au moins une propriété... En résumé, elle nous parla de l'homme 'idéal' avec qui nous devions nous marier. Elle nous précisa également que nous pouvions prendre le temps pour nous décider, car notre vie dépendrait de notre choix, que nous devions trouver 'la' personne. Elle nous répéta sans arrêt que nous étions des femmes courageuses qui avaient commencé une aventure sans savoir comment elle finirait.

Une semaine plus tard, les rencontres avec les prétendants débutèrent. Nous étions une trentaine de femmes et devant chacune de nous se trouvaient six hommes. Nous avions un chaperon, qui nous accompagnait pour nous aider. La première journée passa, puis la deuxième et je n'avais toujours pas trouvé d'époux. Le reste de ma vie se décida le troisième jour.

Les hommes se présentèrent un à la fois avec les questions de la religieuse. Prénoms, noms, métiers, qualités et défauts. Le premier était veuf et avait déjà trois enfants, le deuxième était un vieux monsieur avec une canne de bois, le troisième revenait de l'armée, le quatrième était censitaire et le cinquième avait 65 ans. J'arrivais au dernier prétendant. L'homme ne me fixait pas du regard, il regardait l'horizon d'un air gêné. Contrairement aux autres, il était vêtu d'un costume de cuir brun et noir et d'un manteau avec de longues franges sur le long du dos et des manches. Les paysans portaient des vêtements rouges et colorés.

« Nicolas Girard, français, coureur des bois, 20 ans... »

Mon chaperon continua de parler, je l'entendis mais je ne l'écoutai plus. Je me concentrai sur chacun des hommes et le ressenti que j'eus en les observant. Il était le plus jeune des six, le plus grand, le plus fort, celui qui avait l'air le plus en santé et respectueux aussi. Il baissa la tête pour me regarder.

Héritage du passéWhere stories live. Discover now