Le sort en est jeté - J-7

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Alea Jacta Est


L'Union se préparait et le président Lincoln faisait tout son possible pour arriver à une entente, mais la guerre continuerait tant que les Confédérés ne libéreraient pas tous leurs esclaves.

***

Dans sept jours, ce serait ma fête.

Je m'assis sur le lit et retirai la serviette dégoulinante d'eau chaude de la bassine. Je l'essorai un peu et la posai sur la tête de mon frère allongé sur le lit. Il gémit et ouvrit ses yeux tout doucement. .

« Repose-toi encore, je suis simplement venue mouiller ta serviette. »

Il hocha la tête et changea de position pour s'allonger sur son côté gauche. Il referma ses yeux et je me levai pour sortir de la chambre.

« Merci » dit-il dans un chuchotement à peine audible.

Je lui souris et referma la porte derrière moi. Je m'appuyai sur celle-ci un court instant, voulant reprendre mes esprits. Je me mordillai la lèvre nerveusement mais ne laissai pas une seule larme couler. Je descendis les marches de l'escalier principal pour rejoindre le salon. Ma mère était toujours assise sur le canapé. La tasse blanche de café placée sur la table était encore fumante. M'entendant, elle tourna sa tête. Ses yeux rouges regardaient le sol d'un vide impassible et elle tremblait nerveusement de la jambe. Elle était courbée vers l'avant, les coudes sur ses genoux et les mains jointes devant elle. Elle jouait avec sa bague de mariage. Je m'installai confortablement sur l'autre canapé, face à elle et pris le journal. Je le feuilletai, mais chaque article parlait de la guerre entre les États du Nord et les États du Sud, de la conscription et du nombre de morts ; tout pour m'empêchait de dormir la nuit.

« Se porte-il mieux ?

– Il se repose, mais je ne crois pas qu'il ira mieux d'ici sept jours, dis-je d'un ton méprisant.

– Ne me parle pas sur ce ton, jeune fille. »

J'étais peut-être arrogante, mais ma mère ne prenait aucune action pour régler la situation.

« Vous ne faites rien pour lui. J'ai le droit de m'inquiéter.

– Je sais que tu es bouleversée, mais ce n'est pas une raison pour t'adresser à moi de cette façon. Je n'ai pas le choix, tu crois que je me réjouis de voir mon fils partir à la guerre ? »

Rien qu'à voir ses yeux rouges, je savais qu'elle avait pleuré. Ma mère pensait peut-être qu'il n'y avait aucun espoir, mais moi je n'abandonnerais pas. Malheureusement, les jours étaient comptés.

Dans une semaine, mon frère jumeau et moi aurons 20 ans. Ayant l'âge de servir, il était enrôlé dans l'armée de l'Union. Le problème, c'était qu'il ne pouvait pas y aller. Ce n'était pas un lâche, mais il était malade. Je savais que s'il partait, il ne reviendrait pas. William ne pouvait pas tenir debout plus de quelques heures. Le voir dans cet état me chavirai et je ne supportai pas de savoir que l'aller sera sans retour. Même les meilleurs médecins du pays ne pouvaient pas le guérir. Il n'y avait encore aucun traitement à cette maladie incurable qui n'était pas transmissible à l'homme. Mon frère devait éviter les efforts physiques. Trois ans déjà qu'il avait arrêté ses études. Un an avant d'apprendre que mon frère souffrait de cette même maladie, mon père, lui, était mort au front. Il n'y serait jamais allé, s'il avait su que William était malade. Il n'y avait aucune façon de sauver mon frère, j'en avais bien peur.

J'allai dans ma chambre pour continuer ma lecture lorsque je tombai sur un article qui expliquait qu'un homme pouvait être exempté s'il payait 300 $. Cette somme pour une famille comme la mienne permettrait de financer l'effort de guerre sans toutefois y aller. Une autre solution serait de trouver un remplaçant et de le payer. Pourquoi ma mère ne m'en avait rien dit ? Je descendis les marches rapidement et vis ma mère, toujours immobile, sur le sofa.

« 300 $ ! Et vous refusez de les verser ?

– Je n'ai pas le choix, Emily. Ce n'est pas une question de moyen. C'est une question d'honneur. Défendre nos idéaux, nos valeurs... Les valeurs de ton père...

– Où est l'honneur, dis-je en lui coupant la parole, dans le fait de laisser partir un mourant à la guerre ? Vous savez, comme moi qu'il ne reviendra jamais.

– Les miracles peuvent exister, dit-elle en soupirant.

– Sur quoi vous basez-vous pour le dire. »

« Ayez honte de vous, mère ! » m'exclamai-je en lui tournant le dos pour m'enfuir dans ma chambre.

Je m'allongeai sur le dos et je n'arrivai plus à me concentrer sur ce qui se passait. Les miracles n'existaient pas. Je me remémorai ce qui s'était passé quelques mois auparavant.

Nous étions allés au bureau de recrutement avec William, ma mère et James, mon meilleur ami. Mon frère était en tête de file. Le premier à tirer au sort. Il se tenait sur sa canne et se déplaçait rarement sans elle. Ma mère serrait ma main et James se tenait derrière William. Ses mains tremblaient tout comme celles de mon frère. Il piocha, sortit le papier froissé et lorsqu'une vieille femme lui annonça le chiffre, son sourire s'effaça. À cet instant, ma vie se brisa. Mon jumeau partait pour la guerre et allait y mourir. C'était au tour de mon meilleur ami, et tout comme mon frère, il piocha le mauvais nombre. Lorsque nous sortîmes du bureau, je ne pus retenir mes larmes et tombai à genoux, ne pouvant plus supporter que l'univers me prenne tout. Mon père, mon frère, mon meilleur ami... Qui perdrais-je ensuite ? Mon frère me prit dans ses bras me disant que tout irait bien. James et ma mère prononcèrent des mots imperceptibles. J'étais anéantie de perdre mon frère.

Si les miracles existaient, il n'y aurait pas eu, cette journée-là, un tirage au sort pour déterminer l'avenir de ces hommes. Les miracles n'étaient que des illusions auxquelles les gens croyaient pour ne pas confronter la réalité.

Cet article de journal était une réalité à laquelle je pouvais aisément croire.

Héritage du passéWhere stories live. Discover now