Le sort en est jeté - J-6

17 1 0
                                    

« Sommes-nous obligés de nous y présenter ? »

Ma mère me regarda et soupira.

« Sir Philips nous a invités à son gala de charité et nous devons, par principe, participer. »

À présent, c'était moi qui soupirais. Principe et honneur étaient les seuls mots qui sortaient de la bouche de ma mère.

« Et à quoi, nous servira-t-il ?

– Philips est un vieil ami de ton grand-père. De plus, cet événement n'est pas qu'un bal. Il s'agit d'une collecte de fonds et de fournitures pour l'armée. As-tu fini ? »

Ma mère s'impatientait de ne pas me voir ressortir de derrière le paravent en toile. Cela faisait huit ans que mon grand-père maternel était décédé et il nous manquait énormément, mais voir ses amis ne m'intéressait pas du tout. Je pouvais contribuer à l'effort collectif sans y aller. Je pouvais faire des dons de vêtements chauds et de couvertures. Pourquoi m'y présenter ? Malheureusement, ma mère insista. De toute façon, je rencontrerais certainement James là-bas.

Je cintrai ma robe bleue pâle avec une ceinture de la même couleur. Le vêtement était fait de plusieurs rangées superposées de tulle. Je me regardai dans le miroir et dissimulai le pendentif de mon père.

Il m'avait offert ce collier juste avant de partir pour la guerre. Je ne le quittai jamais. Il m'avait dit que c'était un objet précieux pour lui. Je ne comprenais pas pourquoi il tenait tant à ce que je l'ai.

La robe avait des manches bouffantes et elle se cintrait parfaitement sur le corset qui me compressait l'estomac. La robe était magnifique, mais elle me faisait tellement mal ! William et ma mère m'attendaient sur mon lit. Ils furent, à première vue surpris, et même estomaqués de me voir en me voyant sortir de l'arrière du paravent. Ma mère portait une robe rouge foncée et mon frère avait un costume brun.

« Tu es très belle. » dit ma mère en fixant une épingle dans mes cheveux châtains.

Ma mère avait, quant à elle, placé ses cheveux grisonnants en chignon.

« Tiens-toi droite, ne courbe pas ton dos et n'oublie pas de sourire aux gens que nous verrons. » me conseilla-t-elle.

Intérieurement, je soupirais car je n'avais plus le courage de me battre avec ma mère. Après tout, elle était ma mère et je l'aimais. Je savais que la vie était difficile pour elle. Depuis la mort de mon père, elle était devenue froide. Elle ne disait rien et savait cacher ses émotions pour ne pas nous inquiéter. Elle sortit de la pièce et je m'approchai de mon frère. Il se leva tandis que je replaçai le col de sa chemise. Sa main tremblante s'appuyait sur sa canne de bois vernis. Je lui tendis mon bras qu'il prit et nous descendîmes au rez-de-chaussée. Je posai ma cape sur mes épaules et l'attachai. Je mis mes gants et nous sortîmes de la maison. J'aidai mon frère à monter dans la calèche puis me mis à ses côtés. Ma mère donna l'adresse au cocher. Lors du trajet, je me mis à penser à une solution pour éviter que William aille au front. Il ne me restait que six jours. Seulement six jours.

Une douce neige tombait du ciel et recouvrait le sol gelé. Il n'était pas tard, mais le jour tirait à sa fin. Certains disaient que le coucher du soleil montrait la fin d'un chapitre. Je n'étais pas du même avis. Selon moi, le crépuscule représentait le début d'une longue nuit. J'espérais que cette nuit interminable m'aiderait à trouver la meilleure des solutions et que demain me porterait chance.

En arrivant dans ce qui se trouvait être une maison de style colonial, les lumières provenant de l'intérieur éclairaient le balcon. Notre hôte, Sir Philips nous accueillit avec un grand sourire d'hypocrite. Il embrassa le dos de la main de ma mère, serra celle de mon frère et alors qu'il s'apprêta à embrasser la mienne, je la lui serrai. Il me déplaisait. Sa richesse, sa demeure... Je lui adressai le même sourire mensonger et il nous présenta à sa femme, puis au reste des invités. Son majordome collecta nos dons et nous remercia.

Héritage du passéWhere stories live. Discover now