14 - Aube et Crépuscule (3/3)

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— Alessia, tout va bien ?

La mercenarii ouvrit les yeux, éblouit par les lueurs chaudes et déclinantes d'Astalyone. Elle se trouvait assise sur un long banc en marbre entre les colonnes anthracite du péristyle, occupée à respirer l'air frais. Une dame parée d'une stola pourpre à liserée d'or venait de se planter devant elle. Son port était altier et noble, chignon au sommet de la tête, affirmant son statut de femme mariée.

— Désolée mère. J'ai comme l'impression d'émerger d'un long rêve

— C'est normal que tu sois fatiguée après toute cette route depuis Néreva. Aller, suis-moi à l'intérieur.

Alessia lâcha un dernier regard en direction du jardin avant de se lever. Elle rejoignit sa mère dans la salle à manger et prit place sur l'un des nombreux tricliniums. Aux ordres de la matrone, un domestique ne tarda pas à ramener un pichet de vin accompagné de plusieurs verres puis fit le service.

— Ton père ainsi que ton frère ne vont plus tarder à rentrer, souffla la dame Cœurfroid tandis qu'elle trempait ses lèvres dans la délicieuse boisson.

— Ils auraient pu attendre l'aube pour partir de Valhafeim, rien ne presse, ajouta la jeune femme en goutant à son tour le cru.

Fade et âpre, bien loin des standards de Néreva, mais elle appréciait tout de même l'effort de ses parents.

— Ne raconte pas de bêtises, Alessia. Le seigneur ton père est impatient de te revoir. Déjà cinq années depuis ta dernière visite. Tu es sa fierté, l'une des plus jeunes magistères de l'Académie Sin'dhorei. Il parle souvent de toi, tu sais.

Alessia resta silencieuse, il était vrai qu'elle avait su tirer son épingle du jeu ces dernières années. Elle avait cessé de penser aux autres au détriment de sa propre personne, avait accepté la pleine mesure du potentiel de son Don. Elle s'était alors mêlée aux luttes de pouvoir des æthériis du Palais Æthérique et y avait pris goût.

La magistère sirota une nouvelle gorgée de vin. Une douleur aiguë vint tout à coup transpercer ses tempes. Elle se releva et regarda tout autour d'elle, hagard et terrifiée, des flashs d'images défilant devant ses yeux. Rien de tout ceci n'est vrai, ce n'est qu'un mensonge ! Son premier réflexe fut de courir vers l'extérieur, sa mère, les domestiques, volatilisés. Dehors l'empyrée sombre se montrait dépourvue de toute étoile, seul Tyrasfel dominait l'horizon de ses rayons cramoisis. Alessia reconnut ce moment, un souvenir lointain de son passé. Mais pas entièrement. Elle continue sa course jusqu'à l'entrée du manoir, son cœur battant à la chamade.

Une foule se pressait déjà devant la demeure, mélange hétéroclite de la populace du village de Reyavhiik. Maris, accompagnés de leur compagnes et de leurs enfants, fourches et torches à la main. Alessia connaissait déjà la raison de leur présence. La rudesse de l'hiver passé avait exacerbé le mécontentement général, les plus faibles, très jeunes comme très vieux, furent les premiers à trépasser. À cela s'ajoutait les attaques des pirates côtier, derniers ersatz des Hordes Drengir qui avaient devasté la province quelques années auparavant après de l'Incident de Steinsvart en Borée Occupée. Aujourd'hui les Nordiens venaient exiger réparation auprès de celui qui à leur yeux avait fait preuve de faiblesse en soutenant le Royaume-Aîné.

L'issue de cette funeste soirée, Alessia en avait été témoin, cachée dans un buisson aux abords du manoir, bien des années auparavant. Son père, le Sire Cœurfroid se tenait face à la foule en colère, encadré par des serviteurs ainsi que la garde du manoir. Moins d'une vingtaine d'individus face à plus d'une centaine d'âmes en colère. La logique aurait voulu que le seigneur de Reyavhiik se terre derrière les murs de son domaine après en avoir barricadé l'entrée mais il était un homme d'une autre trempe. Il était descendu pour écouter en personne les exigences des paysans. Puis une émeute se déclencherait.

La Larme SanguineWhere stories live. Discover now