6 - Les Vipères des tunnels (2/4)

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L'épaisseur et l'abondance de la végétation qui entourait l'entrée de la mine jouait en la faveur d'Alessia. Accroupie, elle progressa à tâtons, parfaitement camouflés. À une vingtaine de mètre, elle apercevait dejà les lueurs du feu de camp des Vipères. Que faisaient-ils ? Alessia n'en savait rien et n'en n'avait cure. Bien trop préoccupé à boire ils ne remarquèrent pas l'ombre d'un instant sa présence fantomatique.

Elle avança sur le côté, le long d'une rangée de coffres et de caisses tout en prenant soin d'être le moins visible possible. Elle mit à profit ses années de service parmi les equites de la Legio Imperatorii et ses vieilles habitudes lui revinrent en un éclair. Son objectif était tout proche. À moins d'une dizaine de mètres trônait la tour de guet, guère haute, elle pourrait l'escalader sans aucun problème. Non, la difficulté de sa périlleuse entreprise résidait ailleurs. Neutraliser le tireur ? Un jeu d'enfant, un coup de dague bien placé suffirait. Mais parvenir jusqu'à lui sans attirer son attention, une autre histoire. Le terrain découvert qui la séparait de son objectif ne laissait place à aucune cachette et l'arbalétrier s'acharnait à faire le tour de son perchoir pour chasser le sommeil. Si elle décidait de courir elle devrait s'en remettre à la chance, ou elle pouvait faire le grand tour à la lisière de la forêt, ce qui lui prendrait bien trop de temps. Elle s'en tiendrait donc au plan initial et attendit que Lex ouvre les hostilités.

Le capitaine des Lames de Castell ne se fit pas attendre. Friedrich émergea en premier de l'entrée de la mine, bâillonné et le tranchant de la rapière contre sa carotide. Doucement ils commencèrent à avancer vers le feu de camp. L'arbalétrier les repéra immédiatement et les mit en joue.

— Ne bouge pas, bâtard !

Alessia se glissa dans la pénombre. Du coin de l'œil elle aperçut les deux autres vauriens se lever et dégainer leurs coutelas. Elle se rapprocha de plus en plus. Elle atteint la tour de guet.

— N'approchez pas ! fit Lex d'une voix claire et forte. Sinon je le plante comme j'ai planté l'autre !

Les soudards s'immobilisèrent, depuis le haut de son perchoir le tireur se mit à douter. Le doigt sur la gâchette, il estimait ses chances de réussite. La mercenarii commença son ascension, attrapa une à une les planches et se hissa sans un bruit.

— Ramenez-moi Baldur ! Tout de suite !

Alessia entendit le déclic du mécanisme de l'arbalète. Elle se jeta par-dessus la balustrade de la tour. Tel un fauve aux griffes acérées, elle bondit sur le tireur, plante la dague dans son dos recouvert. Elle le heurta à toute vitesse. Le carreau bien que dévié de sa trajectoire partit en trombe. Elle se rendit compte qu'elle s'était précipitée et avait pris trop d'élan. L'homme poursuivit sa chute vers l'avant, fracassa la balustrade avant de tomber dans la vide. Et elle avec.

Alessia rouvrit les yeux. Plus de peur que de mal finalement. Elle avait de la chance, le crane sanguinolent du tireur ne pouvait pas en dire autant. Il s'était fracassé sur une grosse pierre en contrebas. Elle s'empara de son arbalète, l'arma d'un nouveau trait et se hâta de rejoindre Lex.

Elle découvrit un peu plus loin le corps de Friedrich, son torse transpercé par le tir raté de l'arbalétrier. Lex luttait contre ses deux adversaires, faisait voltiger le tranchant d'acier de sa rapière. Une simple formalité en temps normal pour un duelliste aguerri tel que lui. Pourtant les soudards commençaient progressivement à prendre l'avantage. Ses blessures récentes l'entravaient et l'empêchaient de contrattaquer correctement. Il para une frappe sur sa gauche un poil trop tôt et découvrit sa garde à l'opposée. Son second adversaire sauta sur l'occasion.

Alessia releva son arbalète, appuya sur la gâchette sans même prendre le temps de viser. Elle fit confiance à son instinct. Le soudard s'écroula à terre, la tempe transpercée par le carreau. L'autre eut un moment d'hésitation, se figea après le trépas de son camarade. Lex profita de l'ouverture, d'une fente fulgurante, il perfora son torse, puis son cœur. L'affrontement était terminé.

— Bien joué, sucre d'orge, lança Lex en direction d'Alessia après avoir dégagé son épée puis reprit son souffle. Je crois qu'on a fini avec ces vauriens.

— Maintenant allons-nous occuper de ce fameux Baldur, fit Alessia, sombre.

Elle rechargea l'arbalète une nouvelle fois puis prit la direction de la chaumière. Lex attrapa son bras.

— Doucement, on va faire les choses à ma manière. Compris ? On doit savoir à qui a engagé ces salauds.

La mercenarii acquiesça sans la moindre conviction et laissa son capitaine prendre la tête. Pourquoi tout le monde s'acharnait à lui dicter sa conduite ? Jusqu'à présent elle avait servi les Castellan avec brio. Et là encore elle venait de sauver la vie de Lex.

Ils pénètrent dans la demeure, Lex l'arme au clair et Alessia prête à tirer au cas où Baldur décidait de se jeter sur eux. Il n'en fit rien, à l'autre bout de la pièce assis sur un tabouret face à une table. Il leva la main droite pour leur signifier d'approcher. Elle était dépourvue d'annulaire et d'auriculaire et son majeur laissait entrevoir une grosse chevalière. Le chef des Vipères des tunnels était un homme trapu de taille modeste, son crase rasé dévoilant un tatouage en forme de serpent sur sa tempe droite. Ses prunelles allongés d'un ambre clair dévoilaient un regard carnassier et calculateur.

— Maudit sois ce batard... soupira-t-il. J'aurais dû vous tuer dès votre arrivée ici au lieu de vous faire prisonnier. Vous avez de la chance que les autres soient partie livrer la marchandise. Ca faisait un bail, Hieronym, pas vrai ?

— Je vois que tu te souviens encore de moi malgré les années, rétorqua Lex. J'avais quoi, quatorze ans la dernière fois que tu m'as envoyé faire le sale boulot des Vipères ?

— Je garde toujours un oeil sur mes précieux poulains. Regarde-toi, c'est grâce à moi que tu occupes une position aussi prestigieuse.

— La ferme, je ne dois rien à un bâtard de ton espèce, s'emporta Lex en avançant d'un pas.

Baldur se leva d'une traite et dévoila une arbalète de poing dans sa main gauche. Il visa aussitôt le mercenarii qui se jeta à terre pour éviter le tir. Alessia essaya d'ajuster son angle pour éviter de tuer le chef des Vipères. Il bondit sur elle et évita de juste le coup d'arbalète qui frôla son crâne. De sa dextre, il fit remonter une courte lame d'un coup pénétrant.

La lame de Baldur déchira son surcot. La jeune femme s'écroula sur le mur, une vive douleur étreignant sa panse. Mais elle ne saignait pas. Au contraire de son adversaire. Le chef des Vipères laissa échapper un cri de douleur, le dos de sa main et son avant-bras entaillés par des débris métalliques. Alessia comprit. Le poignard s'était écrasé contre les mailles de la cotte. Et un acier de si mauvaise qualité n'avait aucune chance de percer de l'astelryte. Bien au contraire c'était elle qui s'était brisé et Alessia n'en ressortirait qu'avec une belle ecchymose.

La mercenarii se releva alors que Baldur s'apprêtait à recharger son arbalète de poing pour achever Lex.. Un premier uppercut le cueillit en plein dans la mâchoire et le deuxième le fit défaillir à son tour. Il baissa sa garde. Alessia lança son genou vers l'avant. Elle le toucha en plein milieu du plexus solaire. Le brigand s'écroula à terre, vaincu.

— Merci, Alessia. Tu viens à nouveau de nous sauver la mise, soupira Lex alors qu'il venait de se relever. Je suis à bout de forces. Aide-moi à l'installer à nouveau sur la chaise et attachons-le. Nous avons encore le temps de l'interroger avant que les autres Vipères ne soient de retour.

Ils s'exécutèrent et une petite dizaine de minutes suffit pour tout mettre en place. Alessia jeta un regard en dehors de la chaumière pour être personne ne viendrait les déranger lors de l'interrogatoire. Tandis que Lex s'apprêtait à réveiller Baldur en l'aspergeant d'eau et en profita pour terminer de fouiller la batisse et ne tarda pas à retrouver ses dæmorias posés contre l'un des coffres. 

La Larme SanguineWo Geschichten leben. Entdecke jetzt