Chapitre 34 : L'âme ravagée, le coeur épileptique.

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Le talon de la belle russe claquait frénétiquement contre le sol de l'ascenseur. Ses bras étaient croisés et ses ongles s'enfonçaient nerveusement dans sa peau. Son regard fixait le décompte des étages. Seul son genou gesticulait pour actionner l'articulation de la jambe furieuse. Les muscles étaient tendus, prêts à craquer. L'âme ravagée, le cœur épileptique.

Un peu plus tôt, elle avait envoyé un message à Bob. Une demande concise sans fioriture ni émoticône qui lui imposait d'aller chercher Alessandra à l'hôtel d'Émilie. Pas de formule de politesse non plus, seulement la vérité factuelle que quelqu'un se devait de récupérer la petite fille. Le message lui ressemblait si peu que la majordome avec répondu :

Ok, j'y vais. Ça va ?

Magda n'avait pas pris la peine de répondre. Parce que si elle l'avait fait, elle aurait dû appeler son collègue, probablement pleurer, hurler au téléphone que Giulia Del Vecchio était une garce sans cœur et que lui, Bob, son amour de majordome, était un parfait imbécile de continuer à travailler pour elle. Mais voilà, elle refusait de faire la moindre peine à Bob. Parce que Bob avait toujours su la sublimer là où Giulia venait de l'anéantir. C'était donc en solitaire qu'elle avait choisi de régler ses comptes. Comme un soldat se dirigeant seul vers la ligne de front, elle sortit de l'ascenseur la tête haute malgré un cœur déjà criblé de balles.

Au fil des semaines et de ses visites à l'agence, elle avait, comme elle le désirait, appris à connaître plus ou moins les employés de Giulia. Elle ne les fréquentait pas vraiment mais prenait souvent le temps de leur demander comment chacun allait en passant près de leurs bureaux respectifs. Elle était d'ailleurs toujours accueillie d'un joli sourire, parfois d'un "comment ça va, aujourd'hui ?", et ça lui suffisait. Ces gens ne savaient pour la plupart même pas comment elle s'appelait, mais il levait les yeux de leurs écrans pour la saluer et c'était une chose qu'elle appréciait tout particulièrement parce qu'elle n'avait jamais supporté l'indifférence et la froideur humaine dont elle avait trop longtemps souffert.

Aujourd'hui pourtant, tout était différent. Aujourd'hui, elle ne salua aucun d'entre eux, ne s'arrêta devant aucun bureau, ne s'inquiéta de la santé de personne. Elle fila, droit devant, vers un bureau qu'elle connaissait par cœur. Sabrina, l'assistante, sourit en ouvrant la bouche.

- Bonjour, Bob vient de partir, tu l'as loupé de peu.

Mais Magda l'ignora superbement de peur de l'envoyer sur les roses.

Quand elle entra, elle tomba sur cette vision qu'elle avait déjà rencontré tellement de fois. Giulia, habillée d'un tailleur impeccable, était assise derrière le bureau en chêne massif, un stylo doré entre les lèvres, semblant concentrée sur sa tâche. Au son d'un talon claquant, la belle femme d'affaire releva les yeux et sourit en voyant la jeune russe.

- Eh, je ne pensais pas te voir si tôt.

Magda ne répondit pas, n'esquissa pas un geste durant de longues secondes. Alors, voyant que la gouvernante ne bougeait pas et, contre toute attente, ne s'asseyait pas sur son bureau, Giulia perdit lentement son sourire. La commissure de ses lèvres se tordit d'inquiétude, ses sourcils se froncèrent et elle demanda :

- Tout va bien, mon ange ?

Magda grimaça au sobriquet alors que les larmes lui montaient aux yeux. Elle avait pourtant prévu d'être forte et impénétrable, mais une boule se forma au creux de sa gorge et les mots restèrent bien gentiment à leur place, cachés au fond d'elle-même.

Face à ce silence bien inhabituel, l'inquiétude de Giulia monta encore d'un cran. L'italienne se sentit propulsée plusieurs mois en arrière. Elle remarqua le retour de la mini-jupe et cette attention aurait pu lui faire plaisir si elle ne devinait pas sa belle sorcière si brisée. Elle se leva et contourna le bureau. Faisant taire sa panique, elle osa même quelques pas en sa direction.

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