Chapitre 1

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Un navire qui coule est sûrement la chose à la fois la plus fascinante, et la plus effrayante qui soit.

- Alors, y'a combien cette fois-ci ? me demande Mary, ma meilleure amie, mais surtout mon bras droit.

Je repense au navire qu'on vient de piller, et de couler. Tous les pirates à bord sont soit déjà morts, soit mourrons dévorés par les créatures des fonds marins. Mais au moins moi, j'ai mon or.

- Bien assez pour à la fois nous en mettre plein les poches, et payer chacun des hommes présent sur ce navire, répondis-je en retirant mon chapeau pour relâcher mes longs cheveux couleur flamme.

La mer est agitée aujourd'hui, bien plus que lorsque nous sommes partis. Quelqu'un qui ne serait jamais monté sur un bateau serait déjà tombé, mais nous, nous avons navigué presque toute notre vie. Les vagues ne nous font pas peur, nos corps encaissent chacun des mouvements sans la moindre difficulté.

- Je ne comprends pas pourquoi tu t'entêtes à te vêtir comme un homme Cassia, lance-t- elle en plissant du nez sans trop s'approcher.

Et je la comprends. L'odeur de mon accoutrement est tout bonnement nauséabonde. La chemise, à l'origine blanche, tourne dorénavant plus vers le gris, et même au jaune a certains endroits. Elle dégage une odeur de putréfaction, de moisissure, de transpiration et de sel. Rien à voir avec les doux pigments de vanille et de caramel qui m'embaume habituellement. Mon pantalon est trois fois trop grand, marron et en toile, il n'est d'aucune classe. En vérité, dans ces vêtements empruntés à un membre de mon équipage, je dois surtout avoir l'air d'une gosse qui s'est perdue dans les fringues de son père en voulant jouer à l'adulte.

Mais au moins, je ne suis pas reconnaissable.

- Tu sais très bien pourquoi, répliquai-je en lui lançant un regard lourd de sens.

Mes mains s'activent à retirer les boutons du morceau de tissu qui recouvre mes épaules. Mon envie de prendre une bonne douche pour me débarrasser de toute la crasse qui me recouvre est à son summum.

- Tu ne devrais pas laisser ton père te dicter ta conduite. Faire passer sa fille pour un homme c'est-

Je la coupe avant qu'elle ne continue. Si quelqu'un l'entendait ça pourrait être désastreux pour elle, critiquer le grand chef n'est jamais une bonne chose.

- S'il me le demande, c'est pour me protéger, pas pour me cacher, le défends-je aussitôt en pinçant mes lèvres pleines.

- Tu n'as pas besoin d'être protégée, me contredis elle en replaçant une mèche de ses cheveux cendrés derrière ses oreilles pâles.

- Je sais, me contentais-je de répondre en me glissant enfin dans la bassine remplie d'eau tiède. Mais c'est mon père Mary, ajoutai-je comme si cela expliquait tout. Pourrais-tu aller surveiller notre trésor, tu n'es pas sans savoir que ces hommes ont un penchant très prononcé pour l'or, et seraient prêts à se servir sans que je n'en aie donné l'ordre.

Il n'est en effet absolument pas rare que pendant que je me change, une partie de nos richesses "s'envole", et quand je dis pas rare, je veux dire totalement habituel. En même temps, nous parlons ici d'homme, et mieux encore, de pirate, c'est-à-dire de personne sans hygiène, sans savoir vivre, et sans aucune valeur morale. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai demandé à mon père de constituer mon propre équipage uniquement composé de femme, mais rien à faire, il a refusé. La seule chose qu'il m'a cédée, ce sont mes deux amies les plus proches, Mary, mon bras droit, et Dove, la chef des combattant, et pour lui, c'est déjà beaucoup.

Je pousse un petit soupire fatigué en caressant mon corps avec un savon. Mes mouvements ont beau être délicat, mes mains petites, et mon corps pas beaucoup plus épaisse qu'une feuille de papier, qui me voit ne peut ignorer que je suis une combattante née, une machine entraînée dans le seul but de surpasser les autres, mais surtout de prendre la relève de mon père sur l'empire Kaligan.

Rose des MersWhere stories live. Discover now