Rose des Mers

chapitre 12

Lorsque la nuit tombe, je retourne dans la cale. Je suis retissante, mais lorsque je me souviens qu'il a sauvé mes meilleures amies, je me sens redevable. Et c'est quelque chose que je déteste, j'aurais préféré éviter puisque cela veut dire qu'à présent, même s'il n'en a pas forcément conscience, il a un pouvoir sur moi.

Accompagnée d'une simple lampe à huile, je descends les escaliers. À de nombreuses reprises, j'ai envie de faire marche arrière, sans que cela n'aboutisse. La lueur orangée qui vacille est presque inquiétante, c'est comme si elle cherchait à m'effrayer pour que je fasse demi-tour.

La respiration calme et régulière du prisonnier résonne entre les quatre murs. Il semble profondément endormi et c'est ce qui m'encourage davantage à déverrouiller la cellule pour y entrer. Automatiquement, je pose ma main contre ma cuisse, afin d'y sentir la présence presque rassurante de mon couteau, puis j'avance. Le plus discrètement possible, je me laisse tomber près du corps de l'homme. Il ne bouge pas, ne se réveille pas, s'en est de même quand je pose ma lampe et ouvre le petit sac que j'ai amené.

Avec une prévenance que je ne me connaissais pas, je soulève sa chemise. Celle-ci est dans un sale état, arraché à certains endroits, pleine de sang et je suis prête à parier qu'il n'est pas seulement le sien.

L'obscurité ne m'aide pas à trouver la blessure qui me semblait pourtant béante plus tôt. Au moins, il ne me rend pas la tache plus difficile qu'elle ne l'est déjà puisqu'il est placé sur le dos. Je me surprends un instant à suspendre mes gestes, mes yeux étant attirés plus que nécessaire vers le visage du prince qui n'exprime pour une fois aucune condescendance ou moquerie. Il paraît paisible, et même totalement pur. Un visage en totale contradiction avec le sang qui le tache.

J'ai la désagréable sensation de ne pas rester totalement indifférente à cet homme. Il est mon ennemi, mon prisonnier totalement casse-pieds et me met hors de moi à chacun de nos échanges, et pourtant, si je suis absolument honnête avec moi-même, je crois que je ne le déteste pas autant que tous les hommes. Il est détestable, énervant, mais aussi divertissant et visiblement pas aussi horrible que je le pensais. Si on oublie ses nombreuses menaces de mort.

Je secoue la tête pour me remettre les idées en place puis reprends ma tache. La pulpe de mes doigts frôle la peau tiède de Soah à la recherche de la plaie. Je crois que je rougis, toucher le corps d'un homme m'est totalement inconnu, surtout lorsque celui-ci dort. Je longe de haut en bas son corps, je peux sentir ses muscles se contracter alors même que son visage est toujours endormi. Enfin, je trouve ce que je cherchais.

Mes doigts s'humidifient rapidement, si bien que je me demande comment j'ai fait pour ne pas trouver la blessure plus tôt. Je jure intérieurement, j'ai préféré ne pas venir avant par peur qu'il ne soit réveillé, mais vu la quantité de sang qu'il perd, cela doit faire un moment qu'il est inconscient. Je me demande même s'il n'est pas déjà mort.

Mes gestes sont deviennent plus appuyés, plus frénétiques. Sans plus d'hésitation, ma paume de mains se retrouve contre son cœur, a affut du moindre battement. Je sens mon palpitant battre contre mes tempes. S'il est mort, je peux dire adieu à ma quête. Non, ce sera juste beaucoup plus difficile.

boum..boum...boum

Mes épaules s'affaissent, mon cœur s'apaise, il est en vie.

Soulagée, j'attrape la première fiole, j'en verse en grande quantité contre la plaie. Désinfecter. J'enchaîne avec une deuxième que je verse avec plus de réticence. Réduire les saignements. Puis en dernier, j'attrape un baume violet que j'étale en épaisse couche avant de me pencher pour souffler dessus. La pâte sèche rapidement, formant un pansement qui accélérera la cicatrisation et qui ne restera que les prochaines heures.