Rose des Mers

Chapitre 9

- J'ai rien fait, ne me regarde pas comme ça, me défends-je face au coup d'œil accusateur de Mary. Et puis quand bien même je l'aurais torturé, et battu jusqu'à évanouissement, je te rappelle que cet homme est un prisonnier ok ? Nous avions bien convenu de tout faire pour parvenir à nos fins et si ça ne te convient plus, pas de problème. Tu fermes les yeux ou tu descends de là. Mais tes états d'âme, je n'en veux pas.

Je laisse mon second s'occuper de l'homme qui jonche le sol et je remonte les marches deux à deux.
Le diable.
L'affaiblissement causé par l'absence de nourriture est allé plus loin que je ne l'aurais imaginé. À moins que le prince ne soit déjà dérangé mentalement, ce qui au vu de nos précédentes altercations ne me parait pas si improbable. Combien de fois m'a-t-on menacé en utilisant l'image du roi des enfers ? Plus qu'une personne lambda certainement. Néanmoins, la menace n'avait jamais semblé aussi convaincante. Était-ce d'ailleurs réellement une menace ?
Non.
La manière dont les paroles sont sorties de sa bouche me semblait plus comme une observation. Il ne cherchait peut-être pas à me menacer, mais à me prévenir. Ce qui est d'autant plus inquiétant.
Le diable.
La personnification même de l'enfer, l'image de la tromperie, le dieu craint de tous. Notamment réputé pour ses penchants pour les jeux particulièrement pervers.
Le narcissisme de Soah va bien plus loin que je ne le pensais. Se comparer à un être si puissant n'est pas anodin, et dans son cas, c'est particulièrement déplacer. Surtout lorsque l'on voit l'état dans lequel il est en ce moment même. Pathétique.

Au moment même où cet adjectif me traverse l'esprit, le souvenir de son regard particulièrement sombre et brûlant à la fois me revient. Il ne semblait en rien inquiet de son futur, à aucun moment même, il ne m'a demandé ou supplié de le relâcher. Enfaite tout ce qu'il a semblé faire depuis le début, c'est me chercher, peut être même qu'il prend plaisir à me trouver.

Je lui offre ce plaisir sans le vouloir, je le divertis comme il le souhaite.
Et plus que de la colère face à cette constatation, je ressens un brin de curiosité. De la curiosité certainement mal placée au vu de la situation. Mais une curiosité presque excitante.

Un cri me fait sortir de mon état de réflexion et il ne me faut qu'un seconde pour rejoindre le pont. Mon équipage est étonnement agité et en raison de l'absence de Mary, c'est Dove qui lance des ordres.

- Je t'écoute, dis-je fermement en rejoignant cette dernière en quelques enjambées.
Elle me répond sans interrompre ce qu'elle faisait.

- Bateau en vue, des pirates qui ne veulent visiblement pas juste nous croiser, répond-elle avec un mouvement de menton vers l'horizon.

Je suis soufflé de voir que je n'avais même pas remarqué le navire au loin. Il est presqu'aussi grand que le mien et le drapeau noir qui flotte au gré du vent prouve bien qu'on a affaire à des pirates. Il se dirige droit vers nous.

- On évite l'affrontement ? Me questionne-t- elle en tirant la corde pour élever notre propre drapeau.

- Non. C'est peut-être notre jour de chance, on avait besoin de vivre après tout. Fais en sorte qu'elles soient prêtes à combattre.

Quelque chose attire soudain mon attention, les sourcils froncés, je me penche en avant.

- Attends, c'est-

je ne termine pas ma phrase, une lumière clignote dans mon esprit. J'ai conscience que Dove attrape une longue-vue pour elle-même découvrir ce qui m'a fermé le clapet.

- Les Raniro?

Je hoche sombrement la tête. Les ennemis directs de ma famille se trouvent là- devant, prêts à nous attaquer. Je sens le changement s'opérer. La concentration de Dove s'accroît, elle sait que ce n'est pas comme d'habitude, le combat risque d'être à un tout autre niveau. Les Raniro sont avant tout réputés pour leur force, mais surtout leur barbarie. Et si les Kalligan passent pour des monstres, à côté d'eux, nous sommes certainement des petits joueurs. Tout aussi puissant, bien sûr, mais moins brutaux, plus en finesse.