Chapitre 5 {Aby} Broken Hearted Girl

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«  I don't wanna be without you, babe. I don't want a broken heart. Don't wanna take a breath without you, babe. I don't wanna play that part.  »

Beyoncé – Broken Hearted Girl

P.O.V Abigail's


Le reflet que me renvoie le miroir me paraît être celui d'une inconnue. Je reconnais bien les traits de mon visage malgré les quelques égratignures encore présentes mais le reste de mon corps, ne me correspond plus. Je ne le connais pas. Il semble m'appartenir mais je sens que ce n'est plus le cas. Nue devant le miroir dans la salle de bain, j'observe ce qui est visiblement mon nouveau moi, une nouvelle facette que je ne suis pas certaine d'apprécier.

Une énorme cicatrice me barre la poitrine, débutant un peu plus haut que mes seins et s'étendant un peu plus bas. Elle est immense, boursouflée, rouge, immonde en clair. Je ne cesse de laisser passer mes doigts dessus, comme pour vérifier qu'elle est bien réelle alors que j'avais déjà connaissance de sa présence. Est-ce qu'un jour ça disparaîtra  ? Est-ce qu'un jour, je l'accepterais  ? C'est mal parti. Je me trouve horrible, on dirait le monstre de Frankenstein avec ses coutures de partout car ça ne s'arrête pas là, il y a aussi cette autre cicatrice sous mon ventre, partant d'un bout à l'autre sur plusieurs centimètres. Elle aussi, je l'effleure du bout de mes doigts et des frissons me parcourent la peau comme si j'avais froid tout à coup. Sans parler de celle juste au-dessus de mon ventre, bien plus petite qui est sûrement le résultat de l'impact de la balle que j'ai reçue.

Les médecins disent que j'ai la chance d'être en vie, qu'il faut que je le savoure mais l'acceptation d'un nouveau corps, d'une vie qu'on me décrit sans qu'elle ne soit celle dont je me souviens, ce n'est pas aussi simple que ça. Je n'arrive pas à me faire à l'idée que j'ai le cœur de quelqu'un d'autre à l'intérieur de ma cage thoracique, c'est comme si je me sentais incomplète, infectée par un virus qui ne partira jamais. C'est une sensation très étrange qui me cause beaucoup de larmes. Je n'arrive pas non plus à me faire à l'idée que j'ai pu mettre un enfant au monde et pourtant, cette cicatrice le prouve. Comment ai-je pu oublier que j'étais enceinte  ? Ce n'est pas le genre de choses qui s'oublient, pourquoi est-ce que ça m'arrive à moi  ?

La psy que j'ai vu, dit qu'il me faudra du temps pour que ma mémoire revienne et que je ne dois rien précipiter car si mon cerveau a choisi d'oublier cette année de ma vie, c'est pour une bonne raison. Mais laquelle  ? Pourquoi est-ce que la dernière chose dont je me souviens, c'est de la dispute avec mon père quand je suis entrée dans la salle de réunion où il était avec ses hommes et Lorenzo  ? Pourquoi est-ce le trou noir après  ? Qu'est-ce qui a bien pu se passer de si terrible ensuite, pour que j'oublie tout  ? Ma thérapeute dit que je dois me ménager mais elle en a de bonnes elle, ce n'est pas elle qui se réveille dans un corps et une vie, totalement inconnus.

Il semblerait que ça fasse deux mois que je suis ici et le temps ne m'a jamais paru aussi long car malgré ces examens qu'on me fait passer et ces séances de rééducation pour retrouver une bonne motricité, j'ai encore largement le temps de réfléchir et de comprendre que la réalité est terrifiante. Ce type qui était là à mon réveil, il continue de venir me voir pour essayer de stimuler ma mémoire mais je me braque toujours, refusant tout ce qui peut venir de lui car je sens que c'est ce qu'il y a de mieux à faire, sans m'expliquer pourquoi. Les médecins insistent pour que je vois ma fille mais je refuse catégoriquement. Si j'ai été capable d'oublier son existence, je ne mérite pas de faire partie de sa vie.

Anna et Elioz sont les seules personnes qui me font du bien, les seules choses positives qui m'arrivent depuis que j'ai ouvert les yeux. Avec eux, je me sens à nouveau moi, pouvant oublier quelques instants qu'une année de ma vie est partie aux oubliettes. Parfois j'ai envie que mes souvenirs reviennent et d'autres, non. Si j'ai oublié, ce n'est pas un hasard. Les seuls qui manquent à ma vie, ce sont mes parents et Lorenzo. On ne m'a toujours pas remis mon téléphone et dès que je sors de ma chambre, je suis systématiquement accompagnée de deux grosses montagnes de muscles qui me collent aux basques comme si j'étais quelqu'un d'important. Où sont-ils  ? Pourquoi ne se manifestent-ils pas  ? À chaque fois que je pose la question, mon interlocuteur, quel qu'il soit, change de sujet. Qu'est-ce qu'on ne me dit pas à la fin  ?

Seconde ChanceWhere stories live. Discover now