Ignemshirs, La Saga des Sangs d'Airain, Tome 1 : Le Réveil du Gémeau

Chapitre 41 : L'Intendant en Chef

(VAN)

Son R-Tatoo dans la main, le canapé s'enfonça sous son poids. L'élancement dans sa jambe s'atténua. Les messages vocaux clignotaient toujours. Les images de la berline aérocar blanche de Tess passèrent dans son esprit. Un soupir lourd résonna dans le silence de la grande salle.

La lecture de sa boîte vocale se lança :

Que la Terre soit sans péril, Van. Je voulais juste t'appeler pour savoir comment tu allais. Comme c'est la césure, je m'étais dit qu'on pourrait peut-être aller boire un café. Enfin un thé pour toi, vu que c'est ce que tu préfères. Chez Jean, comme avant. Juste pour papoter. Je serais dans le 2ème, cet après-midi. J'espère t'y retrouver. Sois sauf et que les Cendres te protègent.

Message numéro deux, le quatorze décembre, à vingt heure et six minutes :

Van, je suis déçu que tu ne sois pas venu. Je ne t'en veux pas, c'est juste que cela aurait été bien de te voir. Que les Cendres te protègent.

Message numéro trois, le quatre janvier, à vingt-trois heures et dix minutes :

Van, il faut qu'on parle. J'espère pouvoir te voir demain comme c'est la rentrée. J'espère que ça va. Je sais que tu n'es pas dans ton assiette vers cette période de l'année. Sois fort. Que les Cendres te protègent.

Sa belle voix flutée aux intonations assurées et altières que partageaient la plupart des membres de la haute société noguemienne et des Familles Anciennes flottait encore dans l'air de la salle d'astronomie comme un parfum doux et familier.

L'entendre l'avait manqué. Un autre soupir jaillit de sa poitrine. Il n'aurait pas dû les écouter. Mais pourquoi continuait-elle de l'appeler ? son R-Tatoo se colla à nouveau sur la manche de sa veste croisée déboutonnée et ses genoux se déplièrent lorsque son corps se redressa. Sa jambe l'élança. Sa main se referma sur sa besace posée à même le parquet de la mezzanine. L'étroit escalier craqua bruyamment.

Il fallait juste qu'il oublie.

Ce n'était pas bon de se faire autant de mal.

Il n'était pas masochiste.

Au moment où la porte coulissait devant lui, il tomba nez à nez avec un homme, grand, le teint bronzé, une moustache en pointe et des cheveux bruns mi-long impeccablement coiffés. Il portait un costume trois-pièces bleu roi avec les initiales de Kiona Paine au niveau du cœur. Ses traits distingués et aimables formèrent un sourire chaleureux.

Sa voix était posée et son élocution raffinée :

— Mon registre m'indique que cette salle est censée avoir été condamnée il y a dix ans. Que faites-vous ici ?

— Euh... Je. Qui êtes-vous ?

— Ferguson MacMullen, nouvel Intendant en Chef de Kiona Paine. Je remplace Robert Raymond.

— Ah ! vous êtes le remplaçant de Bobby. C'est vrai qu'il a pris sa retraite. C'est bien dommage. Cela m'étais sorti de la tête.

— Bobby ? mais oui ! bien sûr, c'est vous. le Sheyen Evan Kupenda. Également passionné de littérature et photographie.

Son regard s'attarda sur Wazushendi. Sa posture se crispa légèrement mais toute tension disparut lorsque l'Intendant le regarda à nouveau.

— Excusez-moi, je ne vous avais pas reconnu, vous avez... changé.

Ferguson MacMullen faisait référence au fait qu'il ne s'était pas coupé les cheveux depuis six mois. Première fois en cinq ans. Il pouvait comprendre.

— Comment savez-vous ? Pour la photo et la lecture, je veux dire ?

— Robert m'a beaucoup parlé de vous lorsque nous faisions la transition durant la césure hivernal. Il a d'ailleurs insisté pour que je continue de vous accorder ce petit privilège.

— Oh ! c'est vraiment gentil de sa part. C'est du Bobby tout craché. Toujours aussi prévenant. Vous savez où il est parti ?

— Les Îles Vierges. Il y possède une gentilhommière familial. Il a choisi de passer sa retraite bien méritée dans ce petit coin de paradis.

Un sourire nostalgique étira ses lèvres. Bobby allait terriblement lui manquer. Sa simple présence à Kiona Paine suffisait à illuminer ses journées. Ils avaient souvent de longues discussions sur les œuvres poétiques et leur sens métaphysique. Bobby était un homme extrêmement cultivé d'une rare acuité intellectuelle.

Il le méritait. Ce vieux bonhomme souriant et énergique allait sûrement passer son temps à lire et à cultiver un carré de jardin rempli de ses variétés de légumes singulières venus des Trois-Mondes.

— J'en suis ravi pour lui.

— Moi de même. Ah, j'allais oublié.

Ferguson fouilla dans ses poches et lui tendit une broche en métal qui représentait les initiales de Kiona Paine. Il la reconnut.

Bobby la portait en permanence.

— Un cadeau d'adieu.

Ses doigts la saisirent délicatement.

— Merci.

— Il a dit que le plus beau cadeau que vous pourriez lui faire serait de la porter en son nom.

— Très bien. Ce sera avec plaisir. Je sais à quel point il y tenait.

— Eh bien, puisque j'ai pu m'assurer que la clé de la salle d'astronomie était entre les mains de la bonne personne, et que j'ai pu vous remettre la broche, je ne vais pas abuser de votre temps plus longtemps. Soyez sauf, Sheyen Kupenda.

— Vous de même, Intendant en Chef MacMullen.

Ferguson lui fit une révérence. Toute sa gestuelle était emprunte de distinction. Le nouvel Intendant en Chef s'éloigna d'une démarche assurée. Se glissant dans la poche droite de sa veste, sa main en sortit la clé en verre en forme de télescope. Son sourire s'amplifia alors qu'une douce mélancolie gonflait dans sa poitrine.

Bobby avait bien mérité sa retraite.

Et fort heureusement, son remplaçant était tout aussi sympathique.

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