Chapitre 4.1

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Zyniarold

La Capitaine en charge de la sécurité me harponne à quelques pas de l'auberge. Elle me jauge d'un oeil accusateur, s'approche de moi flanquée de deux gardes.

— Bonjour Audacieux Zyniarold...

Je grimace, mais ne la contredis pas. Elle doit respecter l'étiquette, il n'y a rien que je puisse faire contre ça.

— 'Jour. Un problème ?

— À vous de me le dire, je ne pensais pas vous revoir si vite. Vais-je recevoir une plainte d'un centaure ? me questionne-t-elle d'un ton suspicieux.

— Non. Il y a des Héros dans l'auberge. Trois. Vous pouvez vérifier. 

Je croise les bras et pointe la porte du menton.

Pour une fois que j'ai rien à me reprocher...

Dubitative, elle me dévisage, envoie une de ses soldates vérifier mes dires. La jeune femme s'exécute au pas de courses. Elle pousse le battant, écarquille les yeux et revient à petit pas avant de hocher la tête et de reprendre sa place.

— Je peux y aller ? grincé-je en reculant.

— Juste une seconde ! m'arrête la Capitaine. Zouna, que faisaient les Héros ?

— Ils discutaient en tripotant leur médaillon. 

— Ils n'avaient pas l'air alarmés ?

La soldate secoue la tête.

— Ils n'étaient pas sur le départ ?

De nouveau, la soldate répond par la négative. Après m'avoir étudié une dernière fois de ses yeux de murmelotte, la Capitaine soupire et m'autorise à partir. 

— Ne faites rien de répréhensible dans mon quartier, Audacieux...

— Ouais, ouais.

Je secoue la main à son intention et tourne les talons en rabattant ma capuche sur ma tête. Le soleil tape fort aujourd'hui. Trop fort pour la saison. 

Ça a plutôt l'air d'arranger tout le monde.

Les Grenzadiants s'amassent dans les rues pour profiter de cette vague de chaleur exceptionnelles. Ils font bien : l'hiver approche. D'ici deux semaines, la majorité des races aura ressorti fourrure et capes de laine. Et dans trois semaines, nous fêterons le solstice d'hiver et l'entrée dans la longue saison froide. 

Quoique, cette année, pas de fête du Solstice puisqu'il y aura l'Ascension.

L'Ascension des druides... une de nos plus belles cérémonies qui n'a lieu que tous les dix ans et pour cause : il y a encore moins de candidats Druides que de candidats Héros.

Ce sera ma troisième. La dernière fois, j'avais quinze ans, et la fois d'avant...

Un frisson me secoue les épaules. Je déteste penser à l'année de mes cinq ans.

Je ne peux pas penser à cette année sans penser à Bodag Nazran, et je ne peux pas penser à cette femme sans avoir envie de vomir. Ou de m'enfuir. Ou de mourir, selon mon humeur. Mais surtout, je ne peux pas penser à elle sans penser à son fils, Ashog.

Ash, la lie de ma vie depuis cinq ans.

S'il y a bien une chose que je déteste chez moi, c'est mon incapacité à ignorer cette bouse de Frell. Quoi que je fasse, Ashog se rappelle à mon bon (mauvais, surtout) souvenir.

Si je décide de me promener en forêt, je le croise en train de chercher des ingrédients pour ses cours druidiques.

L'envie de les lui fourrer dans la bouche me traverse l'esprit à chaque fois.

Si je préfère plutôt me rendre aux bains publics, c'est justement le jour qu'il a choisi pour se pavaner au bord des bassins. En exposant à la vue de tous son "héritage Orc", bien sûr.

Il est obligé de me regarder dans les yeux dans ces moments-là ?

Les rares fois où je vais à la bibliothèque, il est là aussi, plongé dans un de ces vieux livres qui n'intéressent plus personne à part lui.

Je devrais l'assommer avec.

Je me rends dans une taverne ? Ash boit un coup.

La prochaine fois, je renverse une bière sur ses cheveux, on verra s'il sera toujours aussi fier de sa " chevelure rouge et soyeuse".

Je m'entraîne au lancé de drolds dans l'arène ? Ash débarque avec son bâton.

Je devrais le viser lui, un jour. Une oreille en moins lui fera pas de mal.

Je reste au palais pour être tranquille et ne surtout pas le croiser ? Lui et son Maître ont une réunion avec Père, avec un Ministre, avec une courtisane ou peu importe.

Ma vie pourrait se résumer à ça : Ash est sur mon chemin. Toujours. Toujours. Toujours.

Mère affirme que c'est parce que nous sommes liés par la Déesse Lune. Elle ignore que je le savais bien avant elle, elle pense même être la seule à me l'avoir dit. En tant qu'Astraline des Lunelins, elle a une affinité particulière avec notre Déesse Lune, c'est tout naturellement qu'elle a, un jour, décidé de faire mon thème astral et celui de l'autre idiot.

J'étais encore enfant, c'était bien avant que la situation ne dégénère de façon définitive.

Je déglutis une boule d'amertume et de dégoût.

Dame Lune n'a vraiment eu aucune intuition sur ce coup.

« Je vais en faire des âmes sœurs ennemies ! Mais pour compenser, je vais faire en sorte qu'ils se croisent partout ! »

Brillant comme idée, tiens.

Je me fige soudain, alarmé par un fait inhabituel.

Je ne l'ai pas croisé aujourd'hui. Ce n'est pas normal. Avec un peu de chance, il se sera étouffé dans son sommeil, ou bien sa chambre au Domaine Druidique aura pris feu, ou bien un chariot l'aura écrasé sitôt qu'il aura mis le pied dehors.

Faut pas trop rêver...

Méfiant, j'étudie les alentours, le ventre contracté à l'idée de découvrir la touffe de cheveux rouges et la peau verte du nuisible ultime. Je sonde la rue noire de monde sans découvrir la présence maudite. Je sonde les balcons, ce que j'aperçois des ruelles, les intérieurs des échoppes. À mesure que je ne trouve rien, l'espoir pulse dans mes veines.

Il ne me reste plus qu'un endroit à vérifier. Derrière moi. Tout à coup, tous les romans-feuilles d'action et de meurtres me reviennent en mémoire. Le suspect se trouve TOUJOURS dans le dos de la victime. Juste derrière. À attendre pour commettre son méfait.

Je roule des épaules et fais volte-face, prêt à en découdre et tombe nez à nez avec... rien du tout. Pas de peau verte. Pas de cheveux rouges.

En même temps, je l'aurais senti.

Le sourire aux lèvres, je m'apprête à reprendre ma route pour rentrer (l'heure du repas approche, j'ai des horaires à respecter !) lorsqu'un mouvement à la périphérie de mon champ de vision réveille la tension de mon corps.

J'aurais dû m'en douter ! Quand c'est pas dans le dos, c'est le mouvement dans le coin de l'œil... mais c'est bizarre, normalement mon corps m'avertit de sa présence. Peu importe. Dame Lune a peut-être enfin abandonné !

Je pivote brusquement sur la gauche, la langue déjà chaude pour invectiver la crurrotte inversée, et...

— Tatialine ? Mais qu'est-ce qu'elle fout là ?

RPG, en route pour Grenzadiel ! (MM, queer)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant