Chapitre 5.1

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Ashog

L'Audacieux.

Je ravale une grimace tandis que la fréquence de mon cœur bascule sur cette vibration unique qui nous lie malgré nous. Alors même que je ne l'ai pas vu, mon corps me crie qu'il est là. Zyniarold. Le maudit Kobolf, alias Maubolf. Ou Maubolfy, quand je suis d'humeur taquine.

Le premier battement est le plus douloureux, toujours. Il est celui qui rompt brutalement avec mon rythme naturel, celui qui brise l'équilibre. Celui qui me rappelle que je ne serais jamais complètement libre... tant qu'il vivra.

Le second est celui qui amène la nausée et le vertige.

D'une main, je m'appuie contre le mur le plus proche. Avec une rencontre non désirée (et une crise cardiaque) quasi quotidienne, on pourrait croire que j'ai fini par m'habituer ou m'endurcir. Mais ce n'est pas le cas. Probablement parce qu'il n'y a rien de naturel dans la disruption du rythme de mon cœur.

Le troisième choc rappelle le mal à mon esprit. Ce mal qui m'envahit chaque fois que Maubolfy et moi nous croisons, qui n'est qu'un inconfort avant de virer à l'élancement, comme si toutes les terminaisons de mon corps se mettaient à vibrer d'une onde étrangère, jusqu'à brûler.

Au quatrième, je serre les dents et m'encourage mentalement : c'est bientôt fini...

Quand le cinquième gonfle ma poitrine, le soulagement m'envahit l'espace de quelques secondes.

Le souffle court et la peau moite, je me redresse, bat des paupières plusieurs fois avant de chercher le coupable du regard. Autour de moi, la rue n'a pas changé : badauds, promeneurs et travailleurs s'y croisent bruyamment ; les effluves mêlés de grillades, de parfums bon marché et de sueur, qui envahissent mon nez, sont toujours les mêmes. La seule chose qui a changé, en l'espace de cinq battements de cœur, c'est la présence de Zyn le Maubolf. Proche. Trop proche.

Je me hisse sur la pointe des bottes pour tenter de le trouver et...

Il est là. Debout, figé à quelques pas de moi, à moitié planqué sous un infâme manteau qui ne parvient même pas à l'enlaidir (malgré des efforts visibles... ce manteau est vraiment hideux).

Lui.

L'âme-sœur que la Déesse Eternelle s'est amusée à me coller à la naissance.

Le maudit Kobolf. Le Maubolf. Pas de Maubolfy, aujourd'hui.

L'être que j'exècre le plus. Celui dont la seule présence suffit à faire sombrer ma bonne humeur.

L'Audacieux Zyniarold Zulemin.

Mes yeux butent dans les siens ; ma grimace fait écho à la sienne. Mais même avec cette tête, Zyn ne réussit pas à être laid, c'est agaçant.

Le long frisson qui rampe sous ma peau est habituel. Quelque chose me dit que Zyn en ressent le jumeau. Et comme à chaque fois que je commets l'erreur de rester planté à le regarder, le reste du monde commence à s'estomper. Les bruits de la rue deviennent brouhaha vague de plus en plus lointain ; les formes et couleurs qui m'entourent se fondent peu à peu en une masse terne. À mes oreilles, le sang bat la mesure du rythme uni de nos cœurs.

Mieux vaut me secouer avant de me laisser engloutir. Je m'arrache avec peine aux yeux faussement innocents du Maubolf, prends une profonde inspiration, cligne des paupières trois, quatre fois, rapidement, et le monde revient à sa place. Criard, bariolé, vivant.

Face à moi, Zyn esquisse un de ces sourires lumineusement ironiques qui me mettent en rage. Je lève les yeux au ciel d'agacement, puis esquisse un pas dans sa direction. Je suis plus que prêt à me jeter dans une énième joute verbale sans issue. Ce serait le parfait exutoire après mon entrevue avec mon Maître. Le moyen idéal de me défaire des émotions troubles qui m'habitent toujours.

RPG, en route pour Grenzadiel ! (MM, queer)Where stories live. Discover now