CHAPITRE 13 : Tu n'écris plus

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N'écris pas.
Je suis resté longtemps, seul, devant mon désastre.
Des midis sans soleil, des minuits sans un astre

Les tendres mains de Ranpo effleuraient les siennes à chaque fois qu'il lui tendait un nouvel ouvrage, un nouveau témoignage de son amour pour l'autre.

A chaque fois, il avait l'impression que l'autre lisait dans ses yeux quelque chose que lui-même ne pouvait deviner, quelque chose que Ranpo était le seul à savoir, à comprendre.

N'écris pas. Ce fut une ruine alors. Nul bruit humain.
Vipères et hiboux. Terrains de fleurs avares.
Partout gisaient, brisés, porphyres et carrares ;
Et les ronces avaient effacé le chemin.

A chaque fois, c'était de nouveaux frissons que Ranpo lui transmettait involontairement en prenant entre ses mains une frêle partie de son cœur.

A chaque fois, il sentait des courants d'air frais traverser son visage, faisant rougir ses joues pâles, faisant frémir son corps d'écrivain perdu.

N'écris pas. Je respire où tu palpites,
Tu sais ; à quoi bon, hélas !
Rester là si tu me quittes,
Et vivre si tu t'en vas ?

Jusqu'à ce qu'un jour, tout s'effondra. L'empire de sécurité que s'était construit Poe autour de lui se brisa en une affreuse ruine. Maintenant, seuls les souvenirs flottent dans l'air, et le mur reste comme un monument à la fragilité de l'amour.

Je t'avais dit de ne pas écrire.

A quoi bon vivre, étant l'ombre

De cet ange qui s'enfuit ?

A quoi bon, sous le ciel sombre,

N'être plus que de la nuit ?

La déchéance de Poe commença le jour où Ranpo refusa de lui ouvrir sa porte. L'écrivain était resté debout, bêtement positionné la main dans le vide, prêt à toquer une nouvelle fois (cela lui remémora d'ailleurs de douloureux souvenirs.)

Il était bloqué devant la porte de chêne massif, incapable de bouger après que Ranpo lui ai pourtant gentiment dit qu'il ne souhaitait pas le rencontrer. Les yeux de l'Américain fixaient la porte sans la voir, interdite. La paranoïa qu'il redoutait tant reprit une nouvelle fois le dessus sur son être, l'empêchant de faire ou dire quoi que ce soit.

Mais tu as tout de même écrit

Je suis la fleur des murailles
Dont avril est le seul bien.
Il suffit que tu t'en ailles
Pour qu'il ne reste plus rien .

Il était revenu quelques jours plus tard, il avait retenté l'opération, mais sans succès. Une fois de plus, il avait paniqué, s'était reproché tous les malheurs possibles et imaginables, s'était enfermé chez lui, s'était détruit lui-même à force de se répéter qu'il n'était pas assez, pas suffisant , qu'il n'était même pas à la hauteur ne serait-ce que d'adresser la parole au meilleur détective du monde.

Pourquoi as-tu écrit ?

Que veux-tu que je devienne

Si je n'entends plus ton pas ? Est-ce ta vie ou la mienne Qui s'en va ? Je ne sais pas.

Ranpo ne l'appelait plus. Il ne lui demandait plus de lui écrire des livres. Il ne lui proposait plus d'enquêter avec lui. Il ne faisait plus partie de sa vie.

Ranpoe  • Sweet DreamsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant