16. Destin

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"Hum... Oui." toussota-t-il, décontenancé par mon culot.

Je plongeais mon regard dans le sien à la recherche d'indices sur cet étrange personnage à mi-chemin entre Johnny Bravo et un acteur porno Italien des années 80's. Mais je n'y vis rien d'autre que du vide. Je ne le connaissais pas assez pour utiliser mon empathie, et fini donc par passer mon tour, plutôt que de mal jouer.
J'ai gardé le silence jusqu'à ce qu'il abandonne son questionnaire et suis sorti de son bureau sans le saluer. En sortant, un bruit de feuilles dans l'air me fit comprendre que je l'avais vexé. Tant mieux. Je n'oublierai jamais mon premier jour de classe, j'espérais que lui non plus.

Un simple coup d'œil à mon emploi du temps déjà corné, semaines me confirma le lieu du prochain cours, qui était avec ma mère. Un sourire se dessina sur mes lèvres en pensant à sa réaction lorsqu'elle verrait ses élèves quitter son cours au compte-goutte pour aller en PPP. Ma mère avait horreur du désordre et de l'indiscipline. J'ai eu la chance de ne pas l'avoir eue en tant que professeure mais je l'avais en tant que parent, j'étais donc bien placée pour le savoir. J'ai passé les deux heures de littérature avec le livre de ma mère sur mes genoux. J'étais totalement absorbée par les descriptions de chaque personnage mythologique. L'histoire de Pandore m'avait particulièrement touchée. Malgré mon arrivée récente dans cette classe je ne pouvais m'empêcher de me demander quelle forme prendrait ma pièce du puzzle.

Serais-je une déesse membre du Panthéon? Une divinité mineure? Une titanide? Si j'avais pu choisir, je pense que je ne serai pas une fille, elles sont toutes stupides, hypocrites et rancunières.
"Attends Alice, je vois qu'Emma veut prendre la suite." entendis-je d'une oreille peu attentive. Je refermais le bouquin d'un coup sec et serrait les cuisses. Mes mains galopèrent de pages en pages pour reprendre la suite du texte, mais il était déjà trop tard.

"Emma?" insista ma mère. Sachant très bien que je ne suivais pas son cours.
"Je n'ai pas très bien compris la question madame..." glissais-je.
"Non, tu n'as juste pas écouté. Tu resteras dans mon bureau à la fin du cours." répliqua-t-elle calmement avant de reprendre son cours sur le courant romantique.
"Bouyashaka!" chuchotant Clément, assez fort pour que je puisse l'entendre. Léo et sa bande se mirent à rire. Le farceur leur adressa un regard noir, décodant une stratégie qui m'échappait encore. Ils continuèrent à rire, et finirent par attirer l'attention de ma mère. Ses yeux glacés interrogèrent les élèves, et je compris enfin pourquoi le garçon à la peau chocolat s'était forcé à rire. Il se retourna vers Clément et fut suivi par toute sa bande.

L'effet boule de neige fut quasi-immédiat et bientôt toute la classe fixait gravement le châtain clair. Ma mère eut un sourire nerveux, et je pris peur.
"Clément?" demanda-t-elle simplement. Le jeune garçon se leva de sa chaise et prit la direction désignée par le doigt de ma mère. Léo venait de me sauver de l'exclusion en retournant les sarcasmes de Clément contre lui. Voilà probablement pourquoi ma mère avait eu un sourire nerveux. Bien tenté Auréa. A la sortie du cours, je suis restée comme convenu dans la salle de classe de ma mère. Je pris le temps d'analyser l'espace pendant qu'elle effaçait le tableau. Il s'agissait d'une classe tout ce qu'il y a de plus normale. Excepté les gigantesques affiches arborant les grands héros de la mythologie Gréco-romaine et leurs divinités tutélaires.
"Il me semble que tu ne souhaitais pas qu'ils sachent que je suis ta mère." commença-t-elle, toujours en effaçant le tableau.
"Non, pas vraiment, pourquoi?"
"Alors fais attention à ce livre." répondit-elle. "C'est tout ce que je peux te dire." finit-elle en rangeant son sac.

Elle quitta la salle sans ajouter le moindre mot, et je me retrouvais à nouveau seule. Quelques secondes après son départ, Léo accompagné d'Isabelle, entraient dans la salle. J'imposai à mon esprit l'image de mon chat, ensanglanté, et des larmes jaillirent presque immédiatement de mes yeux. La peine fut si violente que ma lèvre en trembla. La main douce d'Isabelle passa dans mon dos et Léo me prit par la main.
"T'en fait pas. Elle est dure avec toi parce qu'elle veut que tu réussisses." commença-t-il, d'une voix très douce. "Elle est un peu notre mère à tous." ajouta-t-il, me faisant tiquer. Auriane lui adressa un regard inquiet. Léo reprit aussitôt avec sa voix Gossip suraigüe. "Tu vas l'avoir ton Bac." finit-il.
"Merci." reniflais-je en essuyant mes fausses larmes.
"Allez vient, on y va." déposa Isabelle, au creux de mon oreille. Je les suivais en jouant à la déboussolée. Lorsque mes larmes ont séché, j'ai volontairement ébouriffé mes cheveux, pour accentuer l'effet détresse. Je trouvais ça atroce qu'on associe une chevelure ébouriffée à de la folie, mais bon, à qui la faute? Et ne me dites pas la société : nous sommes la société. Ils m'entraînèrent dans le parc situé près du lycée Montaigne. Un rapide coup d'œil à mon portable m'assura que j'avais le temps de trainasser, il était hors de question que je tombe nez à nez avec Cerbères. Nous nous sommes assis dans l'herbe et avons "bitché" sans réserves.

"Même si c'était le dernier mec sur cette planète, que je mourrais et que le seul moyen de survivre était de le faire, je coucherai pas avec ce mec." – mentis-je. Léo éclata de rire, puis contamina ses copines qui rirent elles aussi aux éclats. Bientôt nous fûmes rejoints par Auriane et le reste du squad. Le garçon à la peau chocolat s'anima et commença à répartir des sacs. Une douce odeur de dinde grillée arriva jusqu'à mes narines et je failli en avoir les larmes aux yeux. J'étais si sensible quant à la nourriture. M'avait-il vraiment payé un Grec?

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