6. La Titanide

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Ironique n'est-ce pas? Après tout, elle était la raison principale de mon inscription à Montaigne.
Quelque part j'admirais le talent de maman à pouvoir résoudre n'importe quel problème. Si le mensonge était un sport, ma mère en serai la championne Olympique, c'était simple : sa vie tout entière était construite sur de faux-dires.

Auréa n'avait pas toujours été célibataire, elle avait été mariée durant plusieurs dizaines d'années. Mais comme dans tous les couples, il y avait conflit d'intérêts. Les personnages de romans résolvent leurs problèmes, les gens normaux compliquent les problèmes qu'ils ont déjà. Auréa et Benoît Veillon en étaient arrivés au stade des Révélations, cette période de tension extrême où les concubins ressentent le besoin de se lancer à la figure les vérités les plus blessantes. Un soir, j'avais eu le malheur de me trouver sur le champ de bataille au mauvais moment et j'avais été touchée par une balle perdue.
"De toute façon j'ai pas à payer de pension ! Nous savons tous les deux que ce n'était pas MON enfant !" avait-il craché sans le moindre état d'âme. L'avalanche d'émotions s'étant abattue sur moi ce jour-là n'a jamais eu d'égal en termes de violence. J'étais détruite de l'intérieur.

J'avais passé les 6 mois ayant suivis ces événements dans le silence. Aujourd'hui je m'en veux encore d'avoir abandonné ma mère à son désespoir au moment où elle avait le plus besoin de moi. Mais j'étais incapable d'aider qui que ce soit, ni elle, ni moi.

J'ai passé ces 6 mois à me documenter sur le véritable passé de ma mère.

Maman était issue de la classe ouvrière, mais elle disait à ses collègues qu'elle avait reçu une éducation bourgeoise. En vérité, elle avait grandi dans un petit patelin, du nord de la France. Très jeune, elle avait fait comprendre à ses parents qu'elle ne voulait pas finir comme eux. A 16 ans, elle avait claqué la porte et s'était enfuit à Paris où elle y étudia les Lettres Modernes et Classiques. Quelques années après l'obtention de son certificat d'études, elle et son fiancé, mon père, donnèrent naissance à une fille appelée Emma. La bonne femme, tout juste mère avait passé un concours et était devenue institutrice dans une école, mais elle nourrissait le désir de devenir professeur des lycées.

Vous vous demandez probablement où se trouve le mensonge dans tout ce fatras ? Eh bien, ma mère était déjà enceinte avant de rencontrer son fiancé. Pour faire simple, papa n'était pas mon père biologique.

J'étais partagée entre du dégoût, de la peine et une infinie solitude lorsque j'appris la nouvelle. Ce jour-là mes boucliers se sont formés en réaction à mon état mental, je pense que j'avais besoin de me sentir protégée...

Clac clac clac... Retentirent les talons de ma mère contre le sol du couloir. Les chuchotements s'évanouirent, et un silence religieux s'installa dans le corridor.

Elle portait un tailleur bleu roi très sobre, un moyen d'imposer le respect à tous, avec classe, m'avait-elle expliqué un jour. Elle ne m'adressa pas un seul regard et ouvrit la porte aux autres élèves. Leur visage s'éclaira lorsqu'ils pénétrèrent la salle de classe, comme s'ils venaient de ressusciter.
Aimaient-ils ma mère à ce point ? Ma mère ne m'avait jamais vraiment parlé d'eux en détail. Elle me disait juste qu'elle les aimait autant que ses propres enfants, et mon cœur se fissurait un peu plus à chaque fois que j'entendais cette phrase.

"Les hommes te quittent. Les enfants finissent par partir. Même les familiers finissent par mourir, mais tes élèves ne t'oublient jamais."

Beaucoup de choses me surprirent durant ce cours. Ma mère ne supportait pas les bavardages et elle n'avait pas hésité à virer deux fois de suite Charlotte de la salle de classe.
La fausse blonde avait levé le sourcil droit à chaque fois, comme si elle ne savait pas qu'elle perturbait la classe. Les autres élèves avaient l'air d'être au courant de ses habitudes et prenaient religieusement son cours sans dire un mot. Moi je baissais les yeux quand elle posait des questions et je faisais tomber mon stylo par terre quand elle regardait dans ma direction.
L'idée de sortir mon portable ne m'a même pas traversé l'esprit une seule fois. Pourtant, il n'a pas cessé de vibrer. Elle n'avait même pas pris la peine de me demander de me présenter, elle m'avait totalement ignorée. Pour changer...

J'étais si différente de ma mère. Elle était très grande, plutôt forte et sa peau était olivâtre. Moi j'étais petite, trapue et ma peau était aussi mate qu'un Doliprane. Ses yeux étaient bleus et perçants, les miens étaient marrons et inexpressifs. Ses cheveux blonds étaient toujours parfaitement coiffés, tandis que ma tignasse d'une couleur non identifiée était toujours dans un état déplorable. Malgré tout ce qu'elle avait pu me faire subir, malgré la rancœur que j'éprouvais encore à son égard, je ne pouvais m'empêcher de jalouser ma mère. C'était peut-être là, la preuve que je devenais moi aussi une femme, puisque je percevais les autres comme des compétitrices...
Vraiment ? Est-ce cela devenir adulte ?! Je préfère encore crever.  couina une voix intérieure.

Les deux heures de littérature me parurent étrangement courtes, et avant que je ne puisse comprendre ce qu'il se passait, je me trouvais à la table de ce matin, dans le réfectoire, mais seule. C'était la pause de midi, et Clara était introuvable. Personne n'a daigné m'adresser la parole après le scandale de Charlotte, il semblerait qu'ils se soient fait passer le mot, car l'action fut unanime. D'habitude il y en a toujours un ou deux qui tentent leur chance avec la nouvelle, mais peut être que j'avais déjà raté ma chance. Sans même avoir essayé.
Le réfectoire se remplit très rapidement, et je me retrouvai bientôt assise malgré moi avec des secondes se moquant de la couleur de mes cheveux. Je restais de marbre, scrollant consultant les notifications sur mon portable.
13 interactions Twitter : les retweets de fans des One Direction sur un tweet dans lequel je critique la perte de poids de Louis.
18 notifications Facebook : les réponses des haters de 5 Seconds of Summer qui ont dû m'incendier et me traiter de 'fan pitoyable' et de 'pauvre fille'.
2 nouveaux abonnés sur Wattpad.: cool, maintenant j'en ai 17, en espérant qu'ils ne m'unfollow pas dans mon sommeil.

J'ai ri. Avant de me rappeler que j'étais assise seule, devant mon portable. Les secondes se moquèrent de moi avant d'aller déposer leurs plateaux gaspillés. Depuis combien de temps m'observaient-ils?
"Hey toi!" criais-je en levant le bras.
"Heuh... Quoi?" me répondit une jeune fille, incertaine. Surprise par mon apostrophe, elle vira au carmin.
"Tu finis pas ton assiette?" lui demandais-je en sachant très bien qu'elle comptait jeter son repas à la poubelle. Les autres me regardèrent comme si je venais de leur demander si je pouvais manger leurs excréments. Je me levai d'un bon et piquai l'assiette de la jeune fille sans rien dire. Puis elles disparurent aussi vite qu'elles étaient apparues.
Idiotes.

Mon ventre plein, je ne pus m'empêcher de chercher ma classe à l'intérieur du réfectoire, mais pas un seul Olympien ne se trouvait dans le bâtiment bondé. Pas un seul.

De retour en salle de classe personne ne m'adressa la parole, ni le professeur de mathématiques, ni aucun élève de la classe. Moi qui m'étais habituée à la solitude, je trouvais ce silence bien pesant. Clara m'avait parlé d'un certain protocole, mais elle n'avait pas eu le temps de finir. Peu importe, je me sentais seule et plus que je ne l'avais jamais été. Peut-être parce que je ne connaissais personne. Un sentiment d'abandon pesait sur moi, quelque chose que je n'avais pas ressenti depuis des années. Même si j'avais déjà expérimenté ce type de vie, et que je m'y étais brûlé les ailes, je ne pouvais m'empêcher d'envier leur osmose. Une sorte de paix intérieure que je n'avais jamais connu et que je ne connaîtrai probablement jamais dans ma vie : la sensation d'appartenir à quelque-chose, un groupe, un mouvement, quelque chose de vivant.



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