10 clichés à éviter selon Benjamin Berton

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1. Le soleil qui filtre dans les lames du store

Prenez un homme, une femme ou mieux, un couple après l'amour dans le petit matin. Placez les dans une maison ensoleillée, une chambre tiède, et vous aurez votre accroche. Lorsqu'ils se réveilleront, fourbus après une nuit d'amour sans fin, ils regarderont avec délectation les «{ rayons du soleil qui glissent, transpercent, filtrent, descendent comme des doigts à travers les lames du store.} » A la fois cliché-langue et cliché-situation, ce cliché est le plus anodin et le plus redoutable de tous car il n'a pas de vraie alternative. Vous noterez que les chambres de littérature ont plus souvent des stores que des rideaux (qui dominent pourtant dans la vraie vie) et qu'il y fait généralement soleil le matin quand on est deux (ce qui là encore n'est pas toujours vrai). On raconte que dans certaines maisons d'édition, la question des « rayons du soleil à travers le store » est une formule éliminatoire pour les manuscrits : cela le mérite amplement tant l'idée est elle-même foireuse et son rendu poisseux. Dans ce genre de situation, optez donc pour les rideaux, ou le temps cafardeux.

2. La scène de sexe amoureux

Difficile d'y échapper. Notez que plus de 75% des romans modernes évoquent la rencontre entre deux êtres. 90% de ceux-là évoquent une relation hétérosexuelle. 10% une relation d'un autre genre. Depuis que Sarkozy a enterré la Princesse de Clèves, les protagonistes consomment leur union assez rapidement et offrent alors au lecteur le cliché littéraire le plus redoutable n°2 : la scène de sexe. L'étendue des dégâts est souvent proportionnelle à l'amour que les personnages se portent et à l'appétit sexuel qu'ils déploient. Au choix : les corps qui se mélangent, les bouches qui s'épousent, les fesses qui claquent. Les plus vulgaires usent encore de cette formule gracieuse : «{ il pénétra longuement en elle} » ou ce genre de choses. Beurk. On ne dira pas la dernière fois qu'on a rencontré ça pour la dernière fois mais à ce prix, il vaut mieux, si vous êtes un jeune écrivain, éviter de vous compromettre là-dedans. Prenez donc un moine ou une jeune fille vierge et évitez, de grâce, qu'elle passe à la casserole. Cela vaudra mieux pour tout le monde.

3. Le repas au restaurant

On touche là à un cliché made in France dont la fréquence diminue nettement dans le domaine anglo-saxon (roman new-yorkais excepté). Il y a eu des pages et des pages noircies sur les scènes de bouche chez , qui sont une valeur aussi peu sûre que les dialogues moisis d' et autres {} d'opérette. Le héros français aime aller dans les cafés et n'attend généralement par le chapitre 10 pour aller au restaurant. Du coup, l'auteur tente de trouver des plats à la carte qui soulignent la psychologie du personnage. La femme prend le poisson : raffinement, légèreté et iode. Le gars prend une entrecôte s'il a envie d'elle, un truc savant type ris de veau s'il veut suggérer une supériorité intellectuelle ou la sophistication. C'est souvent d'un ennui confondant, si l'on ajoute en plus les allers-retours du serveur, les mains qui se rejoignent entre la poire et le fromage de chaque côté de la table et le développement presque assuré sur qui paie l'addition. Les personnages de roman devraient être comme des mannequins : ne jamais manger, ne jamais dormir et, sauf exception, ne jamais faire caca.

4. Le secret de famille ou le traumatisme d'enfance

Le personnage névrosé n'oublie jamais de vous farcir au moment qui va bien son histoire traumatique. La concentration de ce genre de secrets (inceste chez , perte des parents, père qui n'est pas le père,) dans le roman défie elle-même la notion de cliché. En est-ce un ? La contre-mode théorique orchestrée par les médias autour du concept de résilience devrait en France permettre de faire battre en retraite cette figure quasi obligée du polar ou du roman psychologique. En attendant, qu'est-ce qu'on aura pris de ces femmes (bien sûr) en pleurs, en train de raconter comment «{ alors que j'avais 6 ans} », elles ont été battues, violées, poursuivies, abandonnées, molestées, Il y a assez peu de clichés « traumas » qui fonctionnent, ce qui fait de ce recours une séquence à haut risque. Si l'on veut sortir du lot, il faut se distinguer par une image forte et qui neutralise le cliché, au risque d'emporter tout le reste. C'est la clémentine bouffée sur le gland de Angot qu'on continue de ressortir 20 ans après. Conseil : suivez , et quelques autres, adoptez des personnages normaux, ou dingos mais alors faites en sorte qu'on ne sache pas ce qui fait qu'ils sont comme ils sont.

Journal d'un écrivainWhere stories live. Discover now