Épisode 1 - 10 Allez-y, Riez.

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A son réveil, Taylor se fait accueillir par une violente migraine qui lui perfore la moitié du crâne. Elle a un goût de rouille dans la bouche et ses paupières luttent pour s'ouvrir. C'est bien pire qu'un lendemain d'ivresse.

Les événements lui reviennent peu à peu et la glacent jusqu'aux os. Land's End. Jake. Le tueur. Où est-elle?

Elle se redresse ou plutôt essaye, mais se rend compte que ses mains sont liées dans son dos, des menottes en plastique mordant ses poignets fins. Il lui faut donc s'y reprendre à plusieurs fois pour passer d'une position allongée à une position assise. Elle porte toujours ses vêtements, Dieu soit loué. Ceux-ci sont à moitié trempés et elle a froid.

Autour d'elle, une pièce sombre et encombrée. Une table en métal rouillé, un établis avec quelques outils, une chaise et... Elle pousse un glapissement en apercevant Jake, suspendu par les bras à un lourd crochet de fer. Son oncle, inconscient, a l'air blessé. Mort même.

Une panique sourde commence à monter. Elle a lu les rapports d'autopsie des victimes et sait que celles-ci se font éventrer vivantes. Et là, on parle des innocentes qui n'ont rien demandé à personne. Taylor, ou plutôt Blondie pour le tueur, l'a provoqué, insulté et humilié. Quelles tortures cet esprit malade va-t-il bien lui trouver ? Ou alors elle fait fausse route et ce n'est qu'un pervers malade, potentiellement copycat, qui risque également de la violer. Paniquer est un mot faible pour décrire ses sentiments.

- Jake, murmure-t-elle. Jake !

Sa voix lui donne l'impression de résonner dans tout le bâtiment. Pourtant, son oncle y demeure insensible. Prenant tout son courage, elle se relève en s'aidant du mur sale derrière elle. Elle se retrouve à l'opposé de la porte unique, ou plutôt de l'emplacement qui jadis arborait une porte. Il ne reste plus que le cadre. Ce qui veut dire que celui qui les a emmenés ici ne comptait pas les abandonner là. Il ne peut être loin...

La jeune femme s'approche de Jake, les mains toujours dans le dos. Son pied, toujours chaussé, écrase des bris de verre dans un bruit qu'elle juge assourdissant. Elle regrette de ne pas avoir enlevé sa chaussure, avant de réaliser que marcher pieds nus sur du verre serait pire encore.

Elle fait encore deux pas, un peu moins sonores, et atteint Jake.

- Jake !

- Il en faudra plus, pour réveiller Jake.

Taylor sursaute et se retourne. Dans l'encadrure de la porte, à l'abri de l'ombre, un homme l'observe. Elle reste interdite, immobile comme une petite fille que l'on vient de surprendre la main dans un sac de bonbons. Jamais elle ne s'est sentie aussi vulnérable qu'en cet instant. L'homme le sait. Il en jubile.

Mais ce n'est pas un voyeur. Peut-être qu'il aime voir la souffrance et la peur, mais ce n'est pour lui que l'entrée. Le plat principal est dans l'action. Ainsi il s'avance et, pour la première fois, se dévoile,.

Taylor s'attendait à une vision d'horreur, un monstre au faciès défiguré, un albinos aux yeux rougeoyants, un assassin au nez crochu et aux cheveux gras. Elle s'attendait à ce que l'aura du criminel la terrasse sur place de son malsain et révoltant charisme. Mais celui qui tient pourtant à la main un long cutter ressemble davantage à un prof de maths qu'à un vilain de bandes dessinées. Dans les trente ans, un pull grand-mère, des cheveux châtains mal coiffés, une paire de lunettes rondes et des dents un peu jaunes. Entre peur, stress et surprise, Taylor ne peut empêcher un rire nerveux devant l'anti-climatique de la situation

L'homme le prend mal et le sourire prédateur qu'il affichait jusque-là disparait.

- Allez-y, riez... Bientôt j'arracherai cette petite langue palpitante et vous ne rirez plus. De mes deux mains je remodèlerai vos chairs, je ferai de vous un monstre. Ô oui, vous vous croyez belle, avec vos petites mèches blondes et vos yeux bleus ? Je les arracherai, lentement, et vous serez encore vivante. Et vos seins... Vos...

Taylor se concentre un court instant sa conscience jaillit hors de son corps. Celui-ci tombe sur le sol et le verre, inanimé. Elle se retrouve incorporelle, mais pourtant son esprit lui modèle un corps illusoire. Ses pieds touchent le sol, alors qu'elle sait pertinemment qu'elle n'est à présent qu'un esprit, une présence immatérielle. Comment ou pourquoi elle le fait, elle n'en a aucune idée. Il lui suffit de le vouloir et elle s'échappe de son corps, libre de toute contrainte, mais incapable de mouvoir son enveloppe de chair. Volontairement du moins.

Johny la Cisaille jure, visiblement mécontent de s'être fait interrompre pendant sa tirade soigneusement préparée. Taylor se rend compte qu'elle est dans un état pire qu'elle ne l'imaginait : elle a du sang sur une partie du crâne et des contusions aux avant-bras et aux jambes. Elle s'est également coupée dans sa chute.

Son apparente inconscience ne décourage pas le tueur, qui s'avance vers elle d'un pas décidé. Elle n'a plus le choix et sa conscience se dirige vers lui. Elle tend sa main irréelle et ferme les yeux en le touchant.

La corporalité la happe dans un tourbillon déconcertant. Ses sens se mélangent et fusionnent sans contrôle tandis que le monde gagne en substance. Oppressée, elle tente de se redresser mais une nausée la prend et elle vomit sur le sol. Elle s'essuie la bouche de la manche de son pull grand-mère. Le contact est râpeux, elle en frissonne de dégoût. L'adaptation est douloureuse, mais plus rapide que par le passé.

Elle se relève. Son corps lui semble plus lourd, plus pataud. Enfin, le corps du tueur, qu'elle possède pour quelques temps. Dans sa main, le contact froid de la lame. Elle pose son regard sur la jeune fille étendue et un sursaut de désir la saisit. elle s'imagine la transpercer avec sa lame et voir l'intérieur de son petit abdomen offert, suintant et poisseux, avant de se reprendre.

- Taylor, dit-elle par la bouche du tueur, concentre-toi. Ne le laisse pas décider à ta place. Tu es plus forte que lui.

Elle serre le cutter entre ses doigts épais et se rapproche de son vrai corps. Elle est déterminée à seulement trancher ses liens de plastiques et non à commettre un meurtre-suicide, ce que le lui souffle un inconscient cruel et sadique... Un inconscient étranger mais familier.





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