Épisode 4 - 9 Sanglant Rendez-Vous

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Taylor regarde son téléphone : les 10h approchent dangereusement. Le quartier ne gagnera pas la palme du plus malfamé de San Francisco, certes, mais cela ne le rend pas agréable pour autant. Plusieurs SDF dorment à même le sol sur le trottoir, à quelques mètres à peine du croisement entre Ellis Street et Hyde Street.

La sorcière avait initialement pensé venir en projection astrale dans un premier temps, mais elle a finalement choisi de se passer de pouvoirs. En effet, elle ignore combien de temps il lui faudrait rester sous cette forme et elle ne souhaite pas que l'autre esprit prenne le contrôle de son corps à un moment inopiné. Sans compter qu'il y a peu de chance qu'Annabelle se présente si elle ne voit personne sur le lieu du rendez-vous.

Pour passer un minimum inaperçue, elle a opté pour un vieux hoodie noir à capuche arborant le sceau de Black Sabbath, qu'elle porte sous sa veste en cuir. Un pantalon et des boots androgyne complètent sa tenue, si bien que de loin on pourrait la prendre pour un homme un peu maigre.

Une voiture ralentit en arrivant au carrefour, mais elle ne s'arrête pas et continue plus loin. Taylor tremble de la jambe, stressée par la situation. Depuis qu'elle est arrivée elle se demande s'il ne vaudrait mieux pas juste partir et trouver une autre solution. Jouer avec des vampires et des assassins ne s'apparente pas vraiment à une bonne idée.

Mais il en va de la vie de Sienna. Puis, ses pouvoirs fonctionnent peut-être aussi sur les créatures de la nuit. Elle n'a jamais eu l'occasion d'essayer la possession sur un vampire, mais après tout, pourquoi pas ?

Elle sursaute quand son téléphone vibre dans sa poche. Elle a en effet l'habitude d'avoir un sac à main avec elle, ce qui n'allait pas avec sa tenue masculine, si bien qu'elle a l'impression qu'on lui a arraché quelque chose. Utiliser ses poches ne fait pas encore partie de ses habitudes.

Un SMS vient de lui parvenir :

« Va au 440 Ellis st. Passe le grillage. »

Bien sûr, elle aurait dû se douter que ce n'était pas là le lieu du vrai rendez-vous. On ne rencontre pas des dealers, vrais ou faux, au milieu de la rue, si ?

Elle n'a hélas pas le choix et s'avance d'un pas pressé. Peu de véhicules arpentent la rue. Des herses protègent l'entrée des magasins qu'elle passe. Il y a bien de la lumière dispensée par des réverbères ou venant de derrière les fenêtres des immeubles, mais elle ne peut s'empêcher de trouver l'endroit lugubre.

Elle redouble de vigilance en arrivant sur les lieux du rendez-vous, derrière un centre d'aide à l'enfance peu engageant. Une grille coulissante bloque bien l'accès d'un parking peu éclairé, sûrement celui du centre en question.

Taylor regarde à droite et à gauche, avant de toucher la grille. Celle-ci est cadenassée, évidemment. Il va falloir grimper, ce que les barbelés ne rendront hélas pas évident.

Elle se rapproche du mur de la ruelle, qui par chance offre un minuscule rebord à hauteur de genou. Elle agrippe le grillage et commence à monter, en faisant un bruit de tous les diables. Cela lui permet malgré tout de se retrouver à la hauteur des barbelés.

La grille ne touchant pas tout à fait le mur, surtout sur la partie haute, elle parvient en se contorsionnant à passer entre celle-ci et le béton, avant de se laisser tomber de l'autre côté. Elle se rattrape comme elle peut et finit sur le sol, mais sans rien se casser. Elle s'est seulement égratigné la paume de la main, qui la brûle à présent, mais ça aurait pu être bien pire.

Elle se rappelle alors que le danger ne résidait pas dans la façon d'accéder à la ruelle, mais dans la créature qui s'y trouve. La jeune fille s'avance entre les véhicules, dont certains semblent abandonnés, les épaules tendues. Personne à droite, ni à gauche. Une voiture passe sur Ellis Street. Au loin une sirène se fait brièvement entendre. Un chien aboie, sûrement dans un appartement voisin.

Un son manque tout à coup de lui donner une crise cardiaque. Une porte s'est entrouverte, donnant sur l'un des bâtiments de la ruelle.

Personne n'en sort.

Une invitation ?

Elle s'y dirige, soudainement consciente du filet de sueur qui lui coule dans le dos. Pas de lumière à l'intérieur. Elle sait qu'il s'agit là d'un piège pour s'en prendre au toxicomane dont elle a pris la place. Si elle entre, il y a des chances qu'elle n'en ressorte jamais.

Un instant l'idée d'appeler Annabelle avant d'y aller lui traverse l'esprit, mais si celle-ci décidait de partir, Taylor ignore si elle pourrait seulement la retrouver.

Sienna... Elles ne seront probablement plus ensembles dans un mois ou un an, alors pourquoi risquer sa vie ? En vaut-elle la peine ? Sans compter que si elle meurt, elle ne l'aura pas aidée. Il serait plus sage de laisser les médecins faire leur travail.

Il faut qu'elle arrête de réfléchir. Rester concentrée...

La porte n'est plus qu'à un mètre de distance. Aucun son. Elle prend une grande inspiration, puis elle franchit le seuil et pénètre dans le bâtiment.

Il fait noir, la faible lumière provenant de l'extérieur ne suffisant pas à dissiper l'obscurité. Elle reste un moment dans l'embrasure, en attendant que sa vue s'adapte à l'obscurité. Puis elle se souvient qu'elle a son téléphone portable avec elle.

Alors qu'elle le cherche dans sa poche, la porte claque soudainement, avant qu'une force violente ne s'empare de la sorcière. Elle laisse échapper un cri quand son dos heurte un mur.

Dans le noir à présent total, une main gantée lui saisit la mâchoire et la force à tourner la tête, pour offrir son cou à son agresseur.

— Annabelle ! parvient-elle à articuler, comme s'il s'agissait d'un sortilège censé faire stopper son agresseur.

L'attaque ne vient pas. On ne lui déchire pas la gorge... pour le moment. A-t-elle vu juste ? La créature ne l'a pas lâchée. Les doigts lui écrasent toujours la mâchoire.

Et s'il ne s'agissait pas d'elle ? Cette pensée lui retourne l'estomac.

En réponse, une voix résonne, sombre et profonde, cruelle et glaciale. Masculine. L'accent est le même que celui d'Annabelle.

— Annabelle, dis-tu ? Et que lui veux-tu ?

— Juste parler. Elle me connaît.

— Vraiment ?

Taylor perçoit comme un amusement mesquin dans cette question. Elle sent que son interlocuteur hésite pour le moment, et que sa propre vie ne tient qu'à un fil. L'esprit de la sorcière fonctionne à 200 à l'heure. Il doit la connaître, il ne peut en être autrement. L'accent. Une vieille connaissance ?

Elle tente le tout pour le tout et tente la seule carte qui lui reste en main :

—Je lui... sauvé la vie, articule-t-elle difficilement, et j'ai besoin... son aide.

Pour tout réponse, le vampire plonge ses crocs dans sa gorge offerte...


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